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Le sens de la République


Directeur de recherche au CNRS, ancien membre de la Commission Stasi, Patrick Weil est un expert reconnu sur l’immigration. Dans son dernier livre, Le sens de la République, il veut combattre les idées reçues, faire le lien entre histoire et temps présent.

D’entrée, Patrick Weil affirme que « nous sommes le plus vieux pays d’immigration d’Europe ». Déjà, en 1830, les usines françaises attiraient les travailleurs de Grande-Bretagne, des Pays-Bas, de Suisse puis d’Italie. Après la guerre de 1914-1918, il remarque que l’appel à l’immigration a été massif en raison des pertes entraînées par la guerre. En 1930, la France est le pays qui compte le plus fort taux d’étrangers au monde, avec 515 pour 100 000 habitants.

Après la Seconde Guerre mondiale, le flux s’accroît avec 430 000 personnes entre 1956 et 1962, principalement des Espagnols et des Italiens, et seulement 120 000 Algériens. En septembre 1973, le gouvernement algérien décide l’arrêt de l’immigration à cause d’attentats racistes. C’est alors Yvon Chotard, vice-président du CNPF – le patronat d’alors –, qui s’inquiète, car l’économie française a besoin des travailleurs algériens.

À partir de 1975, le président Giscard d’Estaing décide de réduire l’immigration qui commence à devenir un sujet de débat entre la gauche et la droite. Les travailleurs immigrés, notamment maghrébins, considéraient que leur séjour en France était provisoire, mais très vite, on constatera qu’ils se stabilisent et souhaitent faire venir leurs familles. Patrick Weil note justement que, « quand on a émigré il y a dix, quinze, vingt ans, on se sent chez soi dans le pays où l’on réside ».

S’engage alors le débat sur le droit du sol ou le droit du sang, sur les naturalisations, et renaît la fameuse théorie fumeuse du « grand remplacement » chère à l’extrême droite. Cette idée que la France serait en danger par l’apport de l’immigration n’est pas nouvelle. Maurice Barrès, en 1889, promettait qu’ « à brève échéance, si l’on n’y met pas bon ordre : aujourd’hui, parmi nous, se sont glissés de nouveaux Français que nous n’avons pas la force d’assimiler […] et qui veulent nous imposer leur façon de sentir ». Et il ajoutait, « le triomphe de leur manière de voir coïnciderait avec la ruine réelle de notre patrie ».

Histoire commune

Patrick Weil reconnaît que, quoique pleinement français, par la naissance ou par la naturalisation, ces hommes et ces femmes connaissent une discrimination et le racisme. Nombre d’entre eux, dont les parents ou les grands-parents sont venus du Maghreb ou d’Afrique noire, font partie de l’Histoire de France. Il en déduit assez naturellement que l’école a un rôle majeur à jouer pour transmettre les valeurs de la République. Mais l’Histoire ne peut plus être enseignée comme on le fait aujourd’hui. Pour Patrick Weil, l’esclavage et son abolition doivent être enseignés, non pas dans un sens victimaire, mais d’une façon positive, rappelant que nombre des officiers de Napoléon étaient des noirs. Mieux, il n’hésite pas à écrire que « la France libre a été africaine » En substance, Patrick Weil appelle de ses vœux « une histoire commune » qui enrichit notre destin commun, et non oppose telle victime de l’histoire à telle autre. Pour réussir ce pari, il aborde la question religieuse et la laïcité. Là aussi, l’historien prône l’ouverture, insistant sur la loi de 1905 qui est protectrice des croyants comme des athées. Au passage, il rappelle que dans les années 1960, « les entreprises préféraient les croyants et les pratiquants aux syndicalistes et aux contestataires de l’ordre établi ». Un livre riche de faits et d’analyse.

Henri Israël