1914-2014 : Les monuments du souvenir
Le 11 novembre 1918, quand, à la onzième heure du onzième jour du onzième mois, les armes se taisent, après quatre ans et demi d’une guerre d’une violence inouïe, la France compte 1 250 000 morts et 2 800 000 blessés. Et par-delà les morts, les souffrances physiques et psychiques des survivants, c’est la société tout entière qui est en deuil.
Parmi ces blessés, des dizaines de milliers d’hommes mutilés, amputés ou défigurés, « les gueules cassées », ou encore rendus aveugles ou phtisiques par les gaz. Pratiquement toutes les familles sont touchées et ont perdu un père, un fils, un frère, un oncle, un cousin, un ami… Dans les communautés rurales, où tout le monde se connaît, le deuil est exacerbé, d’autant que la plupart des hommes ont combattu dans l’infanterie, l’armée la plus touchée, la plus exposée. Dans ces régiments, un homme de troupe sur quatre a été tué, un officier sur trois.
Et très vite devant l’ampleur de la tragédie, le besoin de rendre hommage au sacrifice des soldats s’est fait sentir. De tout temps, on avait érigé des monuments commémoratifs pour célébrer une armée, une victoire. Mais après la Grande Guerre, les monuments deviennent des « monuments aux morts » avec l’inscription du nom de tous les soldats morts pour la France.
La loi du 19 octobre 1919 octroie une subvention à toutes les communes qui souhaitent honorer leurs morts. Dans toute la France, les 36 000 communes vont ériger près de 36 000 monuments. Seules une douzaine de communes, qui n’ont eu aucun mort, n’ont pas de monument. Ces monuments, soigneusement entretenus depuis un siècle, font partie intégrante du paysage urbain et rural : sur la grande place, auprès de l’église, au centre du cimetière.
Laïque et ritualisée
Ce fut pour certaines entreprises le marché du siècle : maçons, sculpteurs, graveurs, fonderies qui, après les canons, ont moulé à la chaîne des statues de poilus. Le choix des monuments est surveillé de près par les associations d’anciens combattants : ce peut être une simple pyramide dans les communes les plus pauvres ou des commandes importantes réalisées par les plus grands sculpteurs de l’époque.
Les thèmes sont nombreux : le plus courant est celui du poilu héroïque saisi dans un geste réaliste, mais souvent des civils en pleurs, mère, enfant, sont aussi associés au militaire. Un coq, une couronne de lauriers, une allégorie de la République victorieuse sont également des sujets récurrents. Seules une dizaine de communes ont érigé un monument antimilitariste, comme celle de Gentioux dans la Creuse avec l’inscription « Maudite soit la guerre ». Mais dans tous les cas, les noms des soldats morts au combat sont gravés dans la pierre, par ordre alphabétique ou par année, parfois avec leur âge, parfois avec leur grade. Par cette inscription, le sacrifice de chacun des combattants doit se perpétuer dans les mémoires.
Depuis 1922, le 11 Novembre est jour férié et chaque monument aux morts est le lieu d’une cérémonie laïque, ritualisée avec l’appel aux morts, la minute de silence, la tragique « Sonnerie aux morts » et La Marseillaise. En 2012, le 11 Novembre est devenu « la journée du souvenir pour les morts de toutes les guerres ».
Françoise Berniguet