Aide à domicile : la qualité limitée ?
Un nombre croissant de personnes concernées. Et des associations d'aide à domicile au bord du gouffre… Sera-t-il encore possible demain d'être dépendant et de bénéficier d'une intervention de qualité ?
Alain Villez fulmine : « On s’achemine vers une fragilisation massive du tissu associatif dans le champ de l’aide à domicile et à une recomposition forte de l’offre vers l’entreprise et surtout le gré à gré… » Et le conseiller technique « Personnes âgées » de l’Uniopss (1) de mettre les points sur les « i » : « Les personnes fragiles ne peuvent être assimilées à de simples consommateurs. Ce n’est pas aux seules lois du marché qu’il faut confier la régulation de l’offre de service mais à l’action sociale et médico sociale des collectivités publiques. »
Depuis plusieurs mois, les alertes succèdent aux alarmes : mise en liquidation judiciaire du Codapa (Comité de développement de l’aide auprès des personnes âgées), qui emploie 250 salariés et intervient auprès de 950 personnes âgées dans la région de Chartes. D’autres organismes avaient déjà disparu ces derniers mois, comme l’Adar de Lille (400 salariés, 2 000 personnes âgées) ou l’Assad 77 (Seine-et-Marne) en octobre (490 salariés, 3 000 personnes âgées).
Le symbole le plus spectaculaire de la crise de l’aide à domicile est venu de la mise en redressement judiciaire, le 15 décembre dernier, de l’Una(2), premier réseau national de services à domicile et services à la personne. Prononcée à la demande de l’Una, la mise en redressement ne porte toutefois que sur l’activité de tête de réseau et non sur celle des 1 200 associations adhérentes.
Résultats d’exploitation déficitaires, fragilités des trésoreries, coup sur coup près d’une centaine d’associations d’aide à domicile en Ille-et-Vilaine, dans le Nord, en Seine-et-Marne, à la Réunion mettent la clef sous la porte. Sont concernés 10 000 salariés, 60 000 personnes aidées. Pour 2010, on parle déjà de 300 à 400 structures menacées.
Comment en est-on arrivé là ? En 2005, le plan Borloo instaure le chèque emploi service universel (Cesu) et des aides fiscales pour les particuliers recrutant du personnel de maison (3). Attirés par la simplicité des procédures, 1 900 000 personnes, « employeurs » sans toujours le savoir, font appel, de gré à gré, à du personnel isolé, trop souvent sous qualifié, à temps partiel et peu rémunéré. La compétence passe au second plan.
Cultiver l’illusion
Deuxième logique d’intervention dans l’aide à domicile, les structures qui interviennent sous le label de « l’agrément » accordé sur la base d’une simple procédure déclarative auprès des directions départementales du travail, sans exigence sur le caractère spécifique de l’activité de l’aide à domicile. Le but est de développer une offre compétitive, non tarifée, le plus souvent assurée par des entreprises privées qui, pour baisser les prix, se libèrent des contraintes imposées par la loi de 2002 sur les institutions sociales et médico-sociales.
Troisième logique, celle de « l’autorisation », aux tarifs imposés par les conseils généraux et la Caisse nationale d’assurance-vieillesse aux prestataires associatifs d’aide à domicile. Durant des décennies celles-ci n’ont eu de cesse de promouvoir la qualification des personnels. Or ces associations se voient asphyxiées financièrement, les conseils généraux étant eux-mêmes confrontés à de graves difficultés budgétaires en raison notamment des non compensations par l’Etat de la montée en puissance de l’APA. Ainsi, le tarif horaire de l’aide à domicile de 18,46 €, imposé par les financeurs publics, est-il en deçà du coût réel de l’heure d’un personnel qualifié calculé à 21 €.
Une association lilloise avait un taux de qualification de ses personnels de 45%. « Pas utile » ont jugé les services de la Cnav. Le paradoxe aujourd’hui est que les financeurs publics imposent de licencier du personnel qualifié au bénéfice du moins disant. « Jusqu’à quand pourra-t-on encore cultiver l’illusion de la démarche qualité auprès de l’opinion ? » s’impatiente Alain Villez.
(1) Union nationale interfédérale des organismes privés sanitaires et sociaux. L’Uniopss rassemble l’ensemble des grandes fédérations d’aide à domicile comme l’Una, l’ADMR…
(2) Una (ex Unassad) Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles.
(3) Pour autant il ne faut pas confondre les aides à la personne (soutien scolaire, informatique, jardinage) des services d’aide à domicile concernant le soutien aux gestes essentiels de la vie courante (se lever, se laver…).
Position CFDT Retraités Qualité des services et qualification des intervenants
La tarification trop basse décidée par les conseils généraux et les caisses de retraite est une des causes importantes des difficultés des associations d’aide à domicile. Mais parfois c’est la gestion des associations qui est en question. Le système très éclaté de l’aide à domicile ainsi que les effets néfastes de la loi Borloo de 2005 interviennent également. Par un amalgame nocif, elle a mis sur le même pied des aides de confort et des aides absolument nécessaires à la vie des personnes fragilisées. Inspirée par une politique de l’emploi dont la Cour des comptes vient de rendre public l’échec, la loi Borloo a favorisé les personnes aisées et a négligé l’aspect social de certaines catégories d’aides aux personnes.
La situation actuelle met en péril des services prestataires. Et c’est vers l’emploi de gré à gré que souvent les personnes âgées se retournent. Solution désastreuse qui rend employeur des personnes âgées incapables d’assumer ce rôle. De plus cela n’apporte aucune garantie pour la continuité d’un service de qualité et n’est pas propice à une politique de qualification.
La CFDT Retraités, très sensible aux risques et difficultés que rencontrent les personnes âgées, demande que le caractère d’utilité sociale des services aux personnes âgées comme aux personnes fragilisées soit reconnu. Des critères garantissant la qualité du service et la qualification des intervenants doivent être exigés. Un contrôle doit en être fait.
De plus, l’avantage fiscal accordé aux personnes âgées sous la forme d’une réduction d’impôt est très défavorable aux retraités ayant de faibles revenus, non ou peu imposables. Cette disposition doit être revue dans un souci de justice.