« Ce qui s’est passé en Syrie dépasse nos rêves »
Nazih Kussaibi, président de l’association Alsace-Syrie, soutient depuis Strasbourg la diaspora syrienne. Au-delà de son témoignage bouleversant, il exprime son espoir en une Syrie démocratique, respectueuse des minorités et des femmes.
Fil Bleu. Comment vivez-vous la période actuelle ?
Nazih Kussaibi. Jamais nous n’aurions cru que le régime du dictateur Bachar al-Assad puisse tomber aussi vite. Il y avait une grande joie tant en Syrie que dans la diaspora syrienne. Ce qui s’est passé en Syrie dépasse nos rêves. Nous avons fêté cela le 15 décembre, tout en sachant que le 17 décembre 2016 nous avions pleuré la chute d’Alep-Est. Ne l’oubliez pas, le père Hafez al-Assad et le fils étaient au pouvoir depuis 54 ans. Nous avons tellement souffert depuis 2011 !
Pensiez-vous découvrir un tel niveau d’atrocités ?
Il y a eu beaucoup de prisonniers, beaucoup de tués ! La population avait l’espoir de retrouver vivants ses enfants, pères, frères et sœurs. Sur près de 125 000 personnes recherchées, on en a à peine retrouvé 25 000. Les autres ont disparu. Lors de la libération de la prison de Saidnaya, près de Damas, on a découvert une « presse humaine » destinée à écraser les corps. Je n’aurais jamais imaginé cela.
Il y avait des enfants parmi les prisonniers. « C’est quoi un oiseau, c’est quoi le ciel ? » a demandé une fillette de 6 ans à Michel Kilo, écrivain syrien chrétien opposant au régime et défenseur des minorités chrétiennes, lui aussi emprisonné. Il venait de raconter une histoire aux enfants qui, comme les femmes violées, ne connaissaient que la prison. Des témoignages montrent que le viol était toléré, voire encouragé. Cela reflète le plus abject de la barbarie du régime.
Comment voyez-vous l’avenir de la Syrie ?
Grosso modo, cela se passe bien actuellement malgré les erreurs constatées ici ou là. Nous connaissons un régime qui veut respecter les minorités. Dans l’ensemble, il n’y a pas eu de vengeances. C’est extraordinaire.
Nous ne voulons pas d’un régime confessionnel comme au Liban ou en Irak. Nous sommes pour les Droits de l’homme, et l’égalité entre les femmes et les hommes.
Nous voulons un pays démocratique, un pays libre, citoyen, qui n’est ni chrétien, ni musulman, ni kurde, ni alaouite. Nous voulons vivre en paix, y compris avec Israël qui profite de la faiblesse actuelle de la Syrie et qui doit respecter le droit du peuple syrien. Nous voulons une alternance au pouvoir, des élections, laisser le temps au temps et être accompagnés.
La France et la Syrie ont un passé commun. Qu’attendez-vous de la France de 2025 ?
Que la France permette aux réfugiés syriens d’aller voir les tombes de leurs parents, de retrouver les prisonniers, de voir leurs maisons détruites ou non, peut-être de revenir définitivement dans leur pays !
Les conditions posées par la France et l’Union européenne pour la levée progressive des sanctions économiques me gênent. Si la France ne veut ni investir en Syrie, ni aider la population syrienne, qu’elle lève au moins les sanctions économiques. On ne peut pas envoyer d’argent en Syrie. Tout est bloqué. J’aimerais que la France joue un rôle en Syrie, que les entreprises investissent pour aider à la reconstruction.
Quel avenir pour la Syrie ?
Le pays est à genoux. Les caisses sont vides. Il n’y a plus d’infrastructures. Il faut aider la Syrie. Près de 25 associations envoient depuis la France des aides à la Syrie. Ces dernières années, 19 conteneurs ont quitté Strasbourg grâce aux dons de vêtements, de matériel médical et scolaire. 3 000 personnes d’origine syrienne vivent en Alsace où leur association tient régulièrement des permanences. Les dons ont permis de construire deux écoles près d’Idlib. Actuellement 1,5 million d’enfants y sont déscolarisés, selon des estimations récentes de l’Unicef.
Propos recueillis par Denis Ritzenthaler