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Petit pays, gros problèmes, c’est Chypre


Vous avez suivi de loin la crise chypriote, un des pays de la zone euro. Cet article vous permet de faire le point : mieux connaître Chypre et les plans successifs pour sauver ses banques. Enfin, il faut en tirer des leçons et faire avancer trois idées : l'union bancaire, la convergence fiscale et le contrôle démocratique.

La gestion de la crise à Chypre par la troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international, Union européenne) courant mars a laissé un goût amer à ceux qui considèrent que l’Europe constitue le seul projet actuel porteur d’avenir.

Pour éclairer au mieux sur la situation particulière de ce petit pays revenons sur les caractéristiques générales qui lui sont propres, les deux plans successifs de la troïka et les conditions d’une sortie de crise par le haut de la zone euro.

1. Les caractéristiques de Chypre

Données générales. Chypre a une population de 885 600 habitants, une superficie de 9 251 km2. Mais, elle est coupée en deux depuis 1974. L’île demeure le seul pays divisé en Europe avec au Sud, la République de Chypre, seule autorité reconnue par la communauté internationale et où vit la communauté chypriote grecque. Au Nord, la République turque de Chypre nord (RTCN) auto-proclamée en 1983 et reconnue par la seule Turquie où vit la communauté chypriote turque. Entre les deux, une ligne de démarcation appelée « ligne verte » ou « zone tampon » de 180 kms de long dans laquelle stationne la force des Nations unies chargée de maintenir la paix à Chypre.
Chypre a intégré l’UE en mai 2004 puis la zone euro le 1er janvier 2008.

Données politiques. Chypre est une république à régime multipartiste. À la suite des élections du 24 février 2013, elle est présidée par Nicos Anastasiades (conservateur) élu avec 57,5% des suffrages.
La période pré-électorale n’a pas aidé dans les négociations avec la Commission européenne, saisie officiellement par Chypre en juin 2012. Elle était plutôt dans l’attente d’un changement politique sur l’île.
Mais les relations ambigües de l’île - quelle que soit la couleur politique de ses dirigeants - avec Moscou, qui avait accordé un prêt de 2,5 milliards d’euros en octobre 2011 n’ont pas aidé non plus dans les négociations.

Données économiques. Le PIB de Chypre est d’environ 18 milliards d’euros (il a baissé de 2,4% en 2012). Le déficit public est de 3,9% en 2012 (estimé à 4,6% en 2013). La dette publique est de 87,3% en 2012 (estimée à 92,6% en 2013). Le taux de chômage est passé de 4,2% en 2008 à 14% en novembre 2012.

Le pays se caractérise surtout par :
 une économie tournée vers les services qui représentent 80% du PIB en 2012 et 76,7% de la population active avec des activités principalement dans le transport maritime, l’immobilier, les services financiers ;
 une fiscalité très avantageuse avec un taux d’impôt sur les sociétés de 10% ;
 un important endettement privé : 185% du PIB en 2000 près de 300% en 2011 ;
 un système bancaire surdimensionné représentant plus de 7 fois le PIB fragilisé par des besoins de recapitalisation estimés de 8 à 10 milliards d’euros.

Au total, le pays n’ayant plus accès aux marchés financiers depuis plus d’un an pour refinancer sa dette la situation n’étant plus tenable, le besoin d’une aide extérieure était devenu « incontournable ».

2. Les deux plans successifs de la troïka

Comment une économie qui ne représente que 0,2% du PIB de la zone euro a-t-elle pu inquiéter et introduire, à nouveau, un doute sur la pérennité de la zone ?

Sans chercher de vaines excuses il faut dire que les ingrédients multiples de la cacophonie étaient réunis : présence sous-jacente de la Russie, inexpérience du nouveau président de l’euro-groupe, arrivée d’un nouveau dirigeant dans l’île et, surtout, leçons non tirées de la gestion des crises précédentes (Irlande, Grèce, Portugal et autres) : cela fait beaucoup.

Le premier plan est présenté par l’euro-groupe le 16 mars. Sur un montant global d’aide estimé à 17 milliards d’euros : 10 devaient être apportés par l’UE et le FMI (ce dernier pour un milliard seulement), le reste devant l’être par Chypre. Ils seraient apportés par les recettes attendues d’une taxation sur les dépôts de 6,75% en dessous de 100 000 euros et de 9,9% au-dessus (les déposants recevant en échange des parts de capital). Cette mesure de taxation des dépôts était censée rapporter 5,8 milliards d’euros.

Quelques jours après ces propositions l’euro-groupe a ajusté les pourcentages mais le mal était fait. La taxation des dépôts en dessous de 100 000 euros est contraire à la garantie communautaire des dépôts : source de la confiance. Elle est totalement incomprise par les citoyens, l’opinion européenne, les marchés financiers.
Le Parlement chypriote rejette à l’unanimité ce plan le 19 mars : la copie était à revoir.

Le deuxième plan date du 25 mars. Il écarte la taxation des dépôts à vue en dessous de 100 000 euros, mais il est sévère pour l’économie chypriote. Il prévoit la hausse de l’impôt sur les sociétés de 10 à 12,5%, les inévitables privatisations, un engagement dans la lutte contre le blanchiment de l’argent, une ponction d’environ 30 à 40% sur les dépôts auprès de la Bank of Cyprus à compter de 100 000 euros.

Ce plan comporte surtout une importante restructuration du secteur bancaire avec la « faillite ordonnée » de Laïki Bank qui sera divisée en deux. Une « mauvaise banque » qui disparaîtra à terme et une « bonne banque » dans laquelle seront regroupés les dépôts inférieurs à 100 000 euros. La première banque du pays, Bank of Cyprus, reprendra à terme les dépôts garantis et les dettes contractées auprès de la BCE qui s’élèvent à 9 milliards. Quant à la BCE elle continuera d’apporter des liquidités à la Bank of Cyprus.

Le plan se présente cette fois comme un schéma de « résolution » (faillite) plus conforme avec ce qui se fait habituellement avec un ordre : on commence à s’adresser d’abord aux actionnaires, puis aux créanciers obligataires enfin on s’attaque aux dépôts non sécurisés tandis que l’on protège les dépôts assurés.

Sur le fond, l’objectif de ce plan est double :
 réduire la taille du système bancaire de l’île avec comme but de le ramener à la moyenne de l’UE à l’horizon 2018 : 350% du PIB contre plus de 800 % actuellement ;
 ne pas (trop) accroître la dette publique qui représente déjà 84% du PIB en 2012.

Ce plan s’est de plus accompagné de mesures de contrôle des capitaux prises par le gouvernement chypriote. Ces mesures -adoptées par décret- sont exceptionnelles et limitées dans le temps car elles sont contraires aux règlementations européennes qui prévoient la libre circulation des capitaux, des marchandises, des biens et des personnes.

Elles ont pour objectif d’éviter un phénomène de panique bancaire tel que cela s’est produit lors de la faillite de Northen Rock au Royaume-Uni en septembre 2007.

Quels vont être les gagnants et les perdants de ce plan ? Difficile à préciser pour l’instant : les perdants seront outre les salariés des banques, les épargnants (mais lesquels exactement ?) et puis, il y aura comme pour tous les autres plans pilotés par la troïka un accroissement du chômage dû à une récession quasi-programmée. Les gagnants sont également difficiles à identifier actuellement mais on voit déjà des institutions financières et des fonds de pension se présenter sur l’île pour se positionner dans la perspective des privatisations.

3. Trois voies pour améliorer le fonctionnement de la zone euro

Dans la gestion de cette crise la zone euro n’est pas sortie grandie, comme il n’est pas nécessaire de désespérer voyons maintenant ce qui pourrait être fait pour améliorer les choses.

L’Union bancaire. Il y a urgence à mettre en place :
 le « mécanisme de surveillance unique » ;
 une garantie des dépôts mieux calibrée et harmonisée ;
 un mécanisme commun de « résolution » (faillite).

Tout cela a pris top de temps à se mettre en place. L’Allemagne a imposé une mise en œuvre après les élections législatives de septembre 2013 : comme l’a démontré le « cas chypriote » il faut aller beaucoup plus vite.

La convergence fiscale. C’est un des volets qui (avec un véritable volet budgétaire) manque dans l’UEM. Les disparités fiscales sont trop grandes dans l’UE qu’il s’agisse de la TVA ou de l’IS (impôt sur les sociétés).

Les petits pays et les pays de l’Europe de l’Est ayant tendance à pratiquer des taux d’appel bas. La proposition formulée par certains de créer - à l’instar du « serpent monétaire européen » - un serpent fiscal avec des bornes minima et des maxima d’imposition mérite d’être prise en considération.

Le contrôle démocratique sur ces plans mérite d’être renforcé.

4. Les dérives démocratiques nécessitent un sursaut démocratique

Concernant le contrôle démocratique, trois exemples méritent d’être médités.

En Grèce, en novembre 2011 le Premier ministre d’alors Georges Papandreou fait une proposition de référendum qu’il retire d’ailleurs sous la pression communautaire trois jours plus tard et démissionne. Pour gouverner le pays il est alors fait appel à un « technicien », Lucas Papademos (ancien vice-président de la BCE), dans l’attente d’élections. Deux élections législatives auront été nécessaires pour dégager une majorité avec en prime une présence significative des deux extrêmes de l’échiquier politique.

En Italie, la situation comporte sur le plan politique des similitudes avec la Grèce. En juin 2011, quatre référendums suscités par le président du Conseil des ministres d’alors, Silvio Berlusconi, sont rejetés (l’un visait d’ailleurs à lui éviter des ennuis judiciaires persistants).

La gestion hasardeuse des finances publiques du pays, la méfiance accrue des marchés financiers l’ont conduit - sous la pression conjointe de Merkel et Sarkozy - a démissionné. Là aussi un « technicien » réputé, l’ancien commissaire européen Mario Monti le remplace. Celui-ci finit par se prendre au jeu politique. Il se présente aux élections de février mais son parti (le « parti centriste ») ne recueille que 10,5% des suffrages. Tandis que le parti anti- système de « Grillo » rafle la mise et brouille les cartes.

La gauche a certes remporté (de peu) les élections législatives mais elle ne dispose pas de la majorité au Sénat pour former un gouvernement.

À Chypre, nous avons un troisième exemple de « dérive démocratique ». Le 19 mars - et c’est une première - le Parlement de l’île rejette le projet de plan du 16 mars de la troïka. Dans la deuxième version (celle du 25 mars) il ne sera plus nécessaire de consulter le Parlement puisque l’essentiel des mesures se feront par décret !

On peut toujours critiquer l’Allemagne pour ses lenteurs, ses rigidités mais de telles pratiques ne seraient pas admises au Bundestag qui exerce un contrôle continu des engagements européens de la chancelière.

Ces différentes « dérives démocratiques » doivent d’être arrêtées car elles ont toutes en commun de mettre en difficulté le projet européen : un « sursaut démocratique » est nécessaire afin d’assurer une vision à long terme de l’Europe. Il faut espérer que les élections européennes de mai 2014 soient l’occasion de remettre le fond de ces questions au cœur des préoccupations des citoyens européens.

Jean-Pierre Moussy