UNION CONFÉDÉRALE CFDT DES RETRAITÉS

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Coronavirus : « Nos aînés seront mieux protégés des futures pandémies s’ils vieillissent chez eux ».


Dans une tribune au « Monde », Monique Boutrand, spécialiste des questions de vieillissement à la CFDT, plaide pour le développement de services de proximité pour les personnes âgées.

Nous ne savons pas encore avec quelle ampleur la pandémie de Covid-19 frappera les personnes âgées vivant en établissement en France, mais l’évolution de la courbe, pour autant que les chiffres soient vérifiés, a de quoi inquiéter. Elle montre que l’on pourrait rapidement déplorer plus de décès dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) que dans tous les hôpitaux réunis.
Pourtant, les familles, les personnes âgées elles-mêmes quand elles l’ont choisi, ont opté pour ce mode d’hébergement, afin que ces dernières soient mieux protégées qu’à leur domicile. Ce virus pourrait conduire à interroger ces choix individuels, mais surtout à reconsidérer des politiques publiques anciennes qui ont encouragé le développement massif de maisons de retraite en France, décisions qu’il convient aujourd’hui de questionner.

Dans son rapport remis en 2013, intitulé « L’adaptation de la société au vieillissement de sa population. France : année zéro ! », Luc Broussy, expert du vieillissement, pointait nos choix nationaux des années 1980 devant l’allongement de la vie et les conséquences du baby-boom. Des choix « sanitaires », expliquait-il, jugeant que le vieillissement relevait de politiques de santé publique : « Autant les financeurs publics, les investisseurs privés que les pouvoirs publics se sont très largement concentrés sur les établissements en général, et les Ehpad en particulier, tout en répétant inlassablement que la politique de maintien à domicile devait être LA priorité. Cela n’a pourtant pas du tout été le cas ! »

Des choix politiques des années 1980

La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015, portée en 2014 par Michèle Delaunay, alors ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie, a voulu corriger ces dérives et remettre le maintien à domicile au cœur des politiques publiques. Son départ du gouvernement, avant même le vote de la loi, n’a pas permis l’application efficace de ses préconisations, notamment en ce qui concerne le développement des services à domicile.

En France, les personnes âgées paient le prix fort de la pandémie. Nombre de leurs lieux collectifs de vie sont devenus des « clusters », lieux de favorisation de la contagion. Actuellement, 609 000 personnes âgées vivent en Ehpad (21 % des plus de 85 ans) et, toutes formes d’établissements confondues, près de 880 000 résidents âgés sont hébergés dans des lieux collectifs, selon les données 2017 de l’Insee.
Cette situation nous semble aller de soi compte tenu de l’évolution des structures familiales et de l’allongement de la durée de la vie. Pourtant, il pourrait aujourd’hui en être tout autrement. Il s’agit bien des conséquences de choix politiques qui datent des années 1980 et qui ont toujours été confirmés depuis, malgré les discours récurrents en faveur du maintien à domicile. Face au vieillissement de la population, qui est une caractéristique commune à notre continent, plusieurs pays européens ont mis en œuvre d’autres options en termes sociaux et sanitaires.

L’exemple danois

Prenons le Danemark. En 1987, une loi sur les services sociaux (le titre est important, ce n’est pas une loi sur la dépendance) a interdit la construction de nouvelles maisons de retraite. A cette date, 17 % des plus de 85 ans vivaient en établissement dans ce pays.

En revanche, des logements adaptés ont été construits en grand nombre. Ils devaient être accessibles aux personnes handicapées, et donc aux personnes âgées. Ce choix a conduit à une diminution importante des personnes âgées en établissement.

La Fondation Robert-Schuman donne des chiffres qui illustrent les conséquences de ces décisions : en 2001, au Danemark, il y avait encore 27 635 places en maison de retraite, mais, dix ans après, il n’en restait que 9 436. Aujourd’hui, dans ce pays, environ 4 % des personnes âgées de plus de 85 ans sont hébergées en établissement. Parallèlement, les communes, subventionnées par l’Etat pour cet accompagnement, ont mis en place des services de proximité pour apporter à domicile toute l’aide dont pouvaient avoir besoin ces personnes.

Plus récemment, pour des raisons d’économies clairement affichées, les Pays-Bas ont voté en 2007 une loi dite d’accompagnement social et ont transféré aux collectivités locales la responsabilité de toutes les prestations destinées à faciliter l’autonomie.

Chaque quartier dispose d’un médiateur, salarié de la commune, qui rend visite aux gens âgés à leur domicile et assure le lien entre les différents intervenants, professionnels, famille ou bénévoles. L’Etat verse aux communes une dotation correspondant à leur investissement. Alors que la pandémie touche aujourd’hui l’ensemble de l’Europe, il sera intéressant, lorsque nous en verrons le terme, d’analyser la façon dont les plus âgés, selon les pays et les modes de vie, ont été frappés par ce virus.

Reconstruire une politique de la longévité

Quoi qu’il en soit, l’hécatombe actuelle dans nos Ehpad doit nous faire réfléchir. Des voix s’élèvent pour demander d’urgence une loi sur la dépendance. Encore une ! Si nous changions plutôt complètement de regard sur le vieillissement ?

Reconstruire une politique de la longévité peut, et doit, se faire sur trois axes essentiels. Premièrement, un engagement national fort à investir dans de nouvelles politiques de logement et de services pour permettre le maintien à domicile. Ensuite, une reconnaissance des métiers liés à l’accompagnement des personnes âgées, passant en premier lieu par des rémunérations à la hauteur de l’engagement des salariés. Enfin, un soutien aux multiples initiatives locales qui développent déjà des services de proximité, comme l’a fait, dès 1999, le département de la Corrèze, avec un service aux âgés isolés, « Présence 19 », devenu aujourd’hui « Corrèze téléassistance ». Bien des enseignements pourraient être tirés de cette expérience déjà ancienne.

Pour reprendre les mots de Dominique Libault, auteur du rapport « Grand âge et autonomie » de mars 2019, il s’agit surtout d’« aider nos parents à vivre debout, avec les autres, au milieu des autres ». Parions que nos aînés seront mieux protégés contre les futures pandémies s’ils vieillissent chez eux, grâce aux solidarités de proximité, familiales ou de voisinage. Ce qui se passe en ce moment dans bien des quartiers, des rues et des villages nous le prouve.

Source : Le Monde du 23 avril 2020, tribune de Monique Boutrand. Chargée de mission à la CFDT-Cadres, elle est ex-présidente de la section cadre de vie du Conseil économique, sociale et environnemental (CESE), auteure du rapport « Seniors et cité » (2009) et co-rapporteuse de l’avis du CESE sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement (2014).