Crise de la dette ou crise de l’euro ?
L'euro est-il en crise ? N'assisterait-on pas plutôt à une crise de la dette, publique ou privée, dans la zone euro ? Grèce, Irlande, et plus récemment Portugal… Attachons-nous aux faits plutôt qu'aux rhétoriques de la peur.
L’euro attire. Il est, tout comme l’Union européenne, le fruit d’élargissements successifs. La monnaie unique a été créée en 1999 par onze pays : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Italie, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal. Depuis, successivement, la Grèce, la Slovénie, Chypre et Malte, la Slovaquie et l’Estonie l’ont rejoint.
Malgré ses imperfections si souvent signalées, l’euro est une monnaie suffisamment attractive pour que de nouveaux pays souhaitent régulièrement la rejoindre. D’autres pays européens aspirent à faire de même : Bulgarie (2013), Lituanie (2014), Hongrie, Roumanie et Pologne (2015), République tchèque (entre 2014 et 2019).
Dans une zone économique où l’essentiel des échanges est intra-communautaire (environ 65%), où la proximité géographique facilite les déplacements, où les prix des produits peuvent être comparés d’un pays à un autre, la monnaie unique constitue - outre de réelles facilités pratiques - un ciment européen fort.
L’euro est aussi devenu une monnaie de statut international. La supprimer ou en sortir serait insensé. Les dévaluations dites compétitives ont historiquement démontré leurs effets néfastes : augmentation du coût du crédit, échanges internationaux chahutés.
La monnaie européenne représente 27% des réserves de change des banques centrales, 39% de part de marché lors des transactions de change, 29,8% des titres de dette internationaux (fin 2009) tandis qu’elle est utilisée comme monnaie d’ancrage par 48 pays ou territoires contre 51 pour le dollar.
Un succès et des difficultés
L’euro constitue donc, à plus d’un titre, un indéniable succès. Cela n’empêche pas d’examiner les difficultés actuelles de la construction monétaire européenne. De prime abord on peut en identifier trois.
La plus communément relevée est celle de disposer d’une politique monétaire commune avec des politiques budgétaires décentralisées et non coordonnées. Autrement dit « l’absence de fédéralisme budgétaire ». La profondeur de la crise actuelle s’explique pour partie par cette absence de « coordination dans la diversité ».
Autre obstacle : l’hétérogénéité souvent mise en avant pour faire ressortir les limites de la construction européenne. Mais où a-t-on vu que la construction européenne devait aboutir à une parfaite homogénéité voire à une uniformité entre les pays et les populations des 27 ? Comme s’il fallait faire fi des histoires de chacun, des modes de développement, des institutions et des types de relations sociales. Les entrées successives des pays du Sud sortant de régimes fascistes, la réunification de l’Allemagne, les entrées des pays de l’Est se libérant du joug communiste ont largement démontré l’aspiration forte à rejoindre l’Union.
Pour autant, les nations restent, à ce jour, responsables de l’essentiel de leur politique économique. Ainsi certains pays comme l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas ont maintenu ou renforcé leur base industrielle tandis que d’autres comme la France, la Belgique, l’Italie, l’Espagne l’ont vu fondre au profit d’activités comme les services financiers ou l’immobilier. Les mêmes différences existent encore en matière fiscale comme le montrent parfois avec outrance les dispositifs mis en œuvre par certains pays dont l’Irlande constitue un cas emblématique.
Prendre en compte l’endettement privé
Troisième difficulté : les critères de Maastricht. Ceux-ci ont désormais montré leurs limites, pour l’essentiel ce sont des critères de dettes publiques : 3% de déficit public, 60% de dette publique, par rapport au PIB (richesse produite dans le pays). Les dettes privées devraient être maintenant prises en compte, tant celles dues à la crise de l’immobilier en Espagne que celles dues à la crise bancaire en Irlande.
Pour mieux répondre à ces difficultés le renforcement de la coordination des politiques économiques est nécessaire, à commencer par le traitement de la crise : des progrès incontestables ont été accomplis dans ce sens. Il convient de les approfondir.
Les plans de soutien (1) engagés concernent les interventions des pays de la zone euro qui ont dû intervenir pour la Grèce (2 mai 2010) puis l’Irlande (28 novembre 2010). La situation de ces deux pays est d’ailleurs différente, même si le résultat final est le même : un endettement excessif puisque dans le cas de la Grèce il s’agit d’endettement public, et dans le cas de l’Irlande d’un endettement privé dû à une crise bancaire sans précédent. Un tableau ci-contre donne quelques données agrégées concernant ces deux pays.
Dans les deux pays plusieurs plans successifs ont été présentés par les gouvernements. Ils comportent des mesures relatives à l’augmentation de la fiscalité, à des restrictions concernant les emplois et les salaires dans la fonction publique et à des mesures restrictives sur les retraites et la protection sociale. Ces mesures ne sont pas acceptées par les populations et ont amené à de nombreuses manifestations de protestation.
L’indispensable régulation
Ces plans sont accompagnés, tout comme ceux d’autres pays non membres de la zone euro comme la Grande-Bretagne, par des plans d’austérité sévères. La Confédération européenne des syndicats s’élève contre ces mesures d’austérité et considère que les mesures prises ne correspondent pas à la gouvernance économique voulue par elle. Elle a appelé à des manifestations le 9 avril à Budapest, capitale dont le pays exerce actuellement la présidence de l’UE, et dans diverses autres capitales européennes.
De fait, les mesures d’assainissement budgétaires se font dans des conditions discutables : délais d’ajustement trop courts, taux d’intérêt pénalisants et trop élevés, efforts injustement répartis : le libéralisme effréné ayant conduit à cette situation s’accompagne maintenant d’une rigueur excessive de la puissance publique avec le risque supplémentaire d’accroître la récession et le chômage.
La situation actuelle n’est guère réjouissante car la zone euro est probablement au plan mondial la zone qui sera en 2011 la zone la moins performante sur le plan de la croissance. Les plans d’austérité en cours risquent d’ailleurs d’accroître les effets négatifs de cette situation y compris en termes d’accroissement du chômage.
Cependant la gravité de la crise et les errements de certains pays ont apporté la démonstration que des gestions macroéconomiques plus responsables étaient nécessaires. Des progrès ont été accomplis dans ce sens : espérons que de nouvelles crises ne seront pas nécessaires pour approfondir l’indispensable et nécessaire régulation.
Jean-Pierre Moussy
(1) Voir « Chronique internationale de l’IRES » (numéro spécial de novembre 2010) intitulée : « l’État social à l’épreuve de l’austérité ».
Principales caractéristiques des plans de soutien à la Grèce et à l’Irlande
La Grèce veut ramener son déficit public à 2,7% du PIB en 2014. Le plan de soutien est évalué à 110 milliards d’€ dont 80 par les États de la zone euro et 30 par le FMI. L’un des problèmes majeurs de la Grèce est l’importance de son « économie souterraine » qui représenterait 35% de son PIB !
Pour l’Irlande, l’objectif est de ramener le déficit public à 3% du PIB en 2014. Le plan se monte à 85 milliards dont, entre autres, 17,5 proviennent de l’Irlande via son fonds de réserve des retraites, plus 22,5 de la facilité mobilisable auprès de la Commission. Le FMI accorde un prêt de 22,5 milliards à rembourser après dix ans assorti d’un moratoire de 4 ans et demi.
Le coût de renflouement des banques irlandaises a été estimé, fin 2010, à près de 50 milliards d’€ (soit près de 20% du PIB !). De façon étonnante le taux d’imposition sur les sociétés a été maintenu à 12,5%. Une mesure de dumping fiscal quasi identitaire pour le pays alors que le taux moyen d’imposition est de 27% dans la zone euro et de 33% en France. C’est pourquoi l’Europe prête à un taux d’intérêt plus élevé pour l’Irlande que pour la Grèce.