UNION CONFÉDÉRALE CFDT DES RETRAITÉS

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(8) Écartés avant la retraite, oubliés après


Nous sommes fiers d'avoir pu nous entretenir avec Jacques Delors. Cet homme mondialement connu, reconnu et honoré dans tous les pays européens, acteur de l'évolution de la CFDT en 1964, reste un adhérent de la CFDT, à présent comme retraité. Un entretien exceptionnel avec un homme exceptionnel. Nous avons découpé cet entretien en huit parties. Entretien exclusif avec Jaques Delors.

Le niveau d’emploi de l’ensemble des actifs présente des écarts importants selon les pays de l’Union européenne. Pourquoi la France a un niveau d’emploi très faible des seniors, des 55 à 65 ans ?

Jacques Delors. Lors de la campagne du « non » en France, on a entendu dire que la situation de l’emploi est mauvaise à cause de l’Europe. Il y a une seule réponse : ce que la France doit faire pour elle-même, l’Europe ne le fera pas pour elle. C’est fondamental. D’autres pays y arrivent !

Veut-on proposer un traité dans lequel toutes les questions sociales du marché du travail seront traitées à Bruxelles avec un gouvernement européen ? Non, bien sûr. Cette confusion sciemment entretenue a, entre autres, fait perdre le référendum en 2005. S’il y avait des non fondamentaux, il y avait aussi des gens troublés par de fausses affirmations.

En France, à partir des années 70, nous avons, plus que d’autres, réglé nos problèmes structurels de l’industrie par les préretraites. J’ai lu récemment dans un grand journal que les DRH consultés disent « les plus de 50 ans sont rigides, pas mobiles, etc. ». Certains écartent même les plus de 45 ans. C’est terrible ! La société tourne mal !

Les organisations syndicales ont mis longtemps à se saisir du problème du travail des seniors. Ils le font maintenant à propos de la discussion sur le passage de 40 à 41 ans de la durée de versement des cotisations.

…La CFDT s’est impliquée tout de même !

Jacques Delors. Oui la CFDT, mais pas les autres… François Chérèque insiste là-dessus et essaye de changer l’opinion des gens. Il faut redonner au travail son sens profond. Si je n’ai pas un travail, je ne suis pas intégré dans la société, j’ai du mal à me regarder dans la glace.

Le travail reste un facteur central de cohésion personnelle. Le mouvement ouvrier a lutté pour que tous aient un travail, pour que ce travail soit supportable et qu’il puisse permettre de vivre. Il faut remettre cette valeur du travail au centre des préoccupations.

Les plus de 55 ans voulant continuer à travailler doivent pouvoir le faire. Parce que la retraite est faible et parce qu’ils seraient fiers de pouvoir transmettre leur savoir-faire professionnel.

C’est un grand combat à mener, pas simplement pour des questions d’équilibre de nos systèmes de retraite, mais pour des questions de société, de notre conception de la société. S’il y en a qui veulent partir plus tôt, ils partent plus tôt, mais on doit pouvoir continuer.

La balle est principalement dans le camp des patrons qui doivent changer leur manière de voir et de gérer leur personnel.

Dans une société où le travail donne une place à chacun, quelle place pour le retraité citoyen ?

Jacques Delors. On accorde beaucoup d’importance aux retraités lors des élections. Les retraités ont encore un rôle à jouer dans la société. Sauf peut-être en Italie et en Espagne, il y a une coupure entre les générations. Si en France l’esprit familial existe encore, il se réduit trop souvent au « bonjour Papa, bonjour Maman, peux-tu garder les enfants ? ».

Cette partie de la population va représenter bientôt 22% du total. Pourtant on ne la met pas en valeur en leur disant : « vous êtes des citoyens, vous avez un rôle à jouer dans la société ». Il faut les stimuler en diffusant des émissions montrant les bienfaits de la vie syndicale et associative.

On nous montre trop des résidences pour personnes âgées avec piscine, golf… inaccessibles pour le plus grand nombre.

On ne fait pas appel à leur sens citoyen, on ne leur dit pas : « vous existez ! ». Souvent la rupture avec le travail n’est pas facile à gérer. C’est le moment où il devrait y avoir, par exemple, un développement des universités des seniors, et donc de l’éducation permanente.

Dans les nouveaux États membres de l’Union, la situation des personnes âgées est très pénible parce que la coupure entre les générations est encore plus flagrante. Les enfants reprochent implicitement à leurs anciens d’avoir supporté le régime totalitaire, voire de l’avoir soutenu.

En Europe du Nord, on rêve des Baléares, de Majorque, de la Tunisie… Quelle conception de la société effroyablement matérialiste ! L’Europe occidentale est en déclin, sans parler du religieux, sur le plan du vivre ensemble, du respect des gens, de l’attention porté aux autres. C’est indiscutable, l’individualisme contemporain est très prégnant.

Paul Baringou remet son dernier livre à Jacques Delors

Entretien exclusif avec Jacques Delors

Sommaire d’un dossier spécial de 11 articles :
 (1) Jacques Delors, un désir permanent d’améliorer la société
 Lexique
 (2) L’Europe : « la compétition stimule, la coopération renforce, la solidarité unit »
 (3) L’agriculture n’est pas une activité comme les autres
 (4) Jusqu’où élargir l’Europe ?
 (5) « Pour une politique commune de l’énergie »
 (6) « La convention collective summum du socialisme démocratique »
 (7) Des rapports au CERC pour décrire la réalité et la dénoncer
 (8) Écartés avant la retraite, oubliés après
 Qui est Jacques Delors ?
 Le livre des « Mémoires » de Jacques Delors