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« France-Allemagne : une union menacée ? »


Cet article constitue une note de lecture du livre de Jacques-Pierre Gougeon sur les relations France Allemagne. Il permet à chacun de mieux connaître nos voisins et nous-mêmes et faire tomber quelques idées reçues. L'Europe repose sur l'entente entre nos deux pays, entre leurs peuples.

Voilà un livre qui « tombe à pic » tant les interrogations sur la solidité du couple franco-allemand sont aujourd’hui nombreuses surtout au moment où l’Europe, et plus particulièrement la zone euro, traverse une sérieuse crise.

La thématique qui traverse l’ouvrage est celle d’une inquiétude exprimée dans la conclusion : « le déséquilibre tant dans la perception de l’autre que dans les performances économiques risque de miner la relation franco-allemande ».

Cet ouvrage s’articule autour de trois parties que nous allons reprendre en les résumant.

1. Déclin contre ascension ?

La relation France-Allemagne, nous dit l’auteur, est traversée par un double mouvement : la France a développé une « pensée du déclin » tandis que l’Allemagne développe une « pensée de l’ascension ».

Pour soutenir cette démonstration l’auteur s’appuie sur de nombreuses publications puisées dans chacun des deux pays. Concernant la France le discours sur le déclin ne concerne d’ailleurs pas que l’économie et la société (voir les publications de Nicolas Baverez et de Christian Saint-Etienne) mais, cela concerne également le recul du rayonnement culturel du pays (voir à cet égard l’article retentissant de l’hebdomadaire « Time » du 3 décembre 2007 intitulé : « la mort de la culture française »).

Tout ceci alors que dans le même temps l’Allemagne s’affirme comme une puissance cherchant sa place dans le concert international : refus de s’engager en 2003 avec les USA en Irak, abstention à l’ONU le 17 mars 2011 sur la Lybie. Ces positions de l’Allemagne ont fait tomber un tabou : la solidarité « automatique » à l’égard des alliés occidentaux. Mais ce sont surtout les réussites sur le plan économique qui contribuent à renforcer la puissance du pays.

L’auteur relève ainsi qu’en 2010 la croissance de l’Allemagne a atteint 3,7% contre 1,5% pour la France. Et, depuis 2008 l’Allemagne a détrôné la France du rang de troisième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires. Voilà une idée de moins !

Le rapport de la France à l’UE a été déstabilisé par les changements survenus en Allemagne en 1989.

2. Un rapport différent au passé

Jacques-Pierre Gougeon souligne le rapport difficile de la France avec son passé. Qu’il s’agisse de l’appréciation de la responsabilité de l’État français concernant les actes du régime de Vichy (il y a eu en 1944 jusqu’à 45 000 Français engagés dans la milice : organisation paramilitaire au service des nazis) ou encore de la guerre d’Algérie.

L’auteur considère que la difficulté à dire le passé se retrouve à travers deux notions souvent mises en avant : le rejet de la repentance et la valorisation de l’héroïsme. Concernant la guerre d’Algérie l’auteur cite Benjamin Stora qui explique la difficulté de la France à assumer son passé par une « politique de l’oubli » organisée par l’État à travers de nombreuses lois d’amnistie (promulguées en 1962, 1964, 1968, 1974 et 1982). Bref pour reprendre l’expression de Gougeon : « ce passé à encore du mal à passer » !

Du côté de l’Allemagne le rapport au passé n’est pas simple non plus qu’il s’agisse de l’époque nazie ou encore de l’émergence d’une mémoire collective commune à la partie occidentale et à la partie orientale du pays.

Cependant divers travaux historiques récents ont permis d’approfondir le rôle des institutions et des entreprises dans cette période et de dire également les souffrances endurées par les Allemands lors des bombardements. Dans l’histoire allemande revisitée l’auteur fait également état du passé colonial du pays ainsi que la réhabilitation en cours de la Prusse.

L’auteur note que le rapport au passé n’est pas le même dans les deux pays. « La France donne l’impression de ne pas assumer pleinement son passé en privilégiant dans le discours l’héroïsation à tout prix ». L’Allemagne semble avoir un rapport décomplexé à son passé : l’ouverture à Dresde du premier musée national allemand consacré à l’histoire des guerres en étant l’illustration.

3. Modèle contre modèle ?

Cette partie met en exergue les performances économiques de l’Allemagne comparativement à celles de la France :
 part des brevets mondiaux pour chaque pays : 11,6% pour l’Allemagne, 4% pour la France ;
 part respective dans le commerce mondial : 8,3% pour l’Allemagne, 3,4% pour la France ;
 déficit commercial : selon l’auteur sur 10 ans l’excédent commercial atteint 1 562 milliards d’euros pour l’Allemagne alors que pour la France le déficit est de 250 milliards ;
 les performances sont également contrastées en ce qui concerne la croissance et le chômage.

Les atouts de l’Allemagne résident, pour une large part, dans son tissu de « moyennes grandes entreprises ». Mais aussi dans le fait que l’Allemagne a été plus présente que la France dans plusieurs zones ou pays particulièrement dynamiques : Asie émergente, pays d’Europe centrale, Russie. La distinction la plus marquante est la place du haut de gamme dans la production et l’exportation allemande.

Les différences entre les deux pays se retrouvent au plan européen. La France met l’accent sur les thèmes de gouvernance économique et les risques systémiques. Tandis que l’Allemagne estime que la crise actuelle est une crise de l’endettement de pays trop prodigues, lesquels doivent d’abord rembourser leurs dettes. D’où l’accent mis par l’Allemagne sur le pacte de stabilité, le durcissement des sanctions, la conditionnalité dans l’attribution des aides, « la règle d’or » et son refus de toute « union de transfert ».

L’auteur exprime alors sa crainte que naisse, au plan européen, un malentendu entre la France et l’Allemagne compte tenu d’un « glissement de plus en plus marqué vers une gouvernance de type intergouvernemental ».

Pour conclure Jacques-Pierre Gougeon s’interroge sur la « possible domination de l’Allemagne en Europe, au détriment de la France, longtemps habituée à assurer le leadership ». Et de conseiller : « Paris aurait intérêt à mieux intégrer l’idée que l’Allemagne a réappris à vivre avec sa géographie et que son champ de vision s’est élargi ».

En résumé, un livre d’actualité à lire pour mieux comprendre les relations d’un couple qui se veut, en principe, toujours le moteur de la construction européenne.

Jean-Pierre Moussy

En savoir plus :

« France-Allemagne : une union menacée ? » de Jacques-Pierre Gougeon, Armand Colin, mars 2012, 188 pages, 19€90.

Jacques-Pierre Gougeon

Ancien conseiller culturel en Allemagne, professeur des universités et directeur de recherche à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques). Spécialiste de l’Allemagne et des relations franco-allemandes. Auteur de plusieurs autres ouvrages sur l’Allemagne. Autant dire qu’il connaît son sujet. Il a écrit plusieurs autres ouvrages : « l’Allemagne du 21e siècle, une nouvelle nation ? » (2009) ; « l’Allemagne une puissance en mutation » (2006) ; « Où va l’Allemagne ? » (1997) et « La sociale démocratie allemande : de la révolution au réformisme » (1996).