Géorgie, le virage pro-russe contesté par la population
L’adoption d’une loi liberticide fait pencher le pays du Caucase vers la Russie, malgré une franche opposition de la population, majoritairement pro-européenne.
Le parti au pouvoir en Géorgie, Rêve géorgien, maintenait depuis plusieurs années l’ambiguïté entre une apparente volonté de rapprochement avec l’Union européenne et une attitude conciliante avec la Russie. Une position aujourd’hui clarifiée. Avec l’adoption, en juin, de la loi sur « l’influence étrangère », ce pays de 3,5 millions d’habitants, dont 20 % du territoire est occupé par la Russie depuis 2008, bascule vers Moscou. Le texte est en effet un copier-coller de la législation russe sur les « agents de l’étranger » qui a permis au régime de Vladimir Poutine de réduire l’opposition au silence.
Les médias et ONG recevant plus de 20 % de leur financement d’un pays tiers seront dans l’obligation de se déclarer « organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère ». Le harcèlement administratif et les sanctions financières que cette loi autorise sont d’une redoutable efficacité pour museler toute expression indépendante.
Un sentiment de trahison
Un premier texte avait été présenté en 2023 devant le parlement géorgien, puis retiré en 48 heures en raison d’une vive opposition. Il est revenu ce printemps légèrement modifié. Le veto émis par la présidente pro-européenne Salomé Zourabichvili, dont le rôle est honorifique, n’a pas pu empêcher son adoption définitive. Le parti au pouvoir justifie cette loi, non sans cynisme, par une volonté de transparence de la vie publique.
La population géorgienne n’est pas dupe. La loi éloigne le pays d’un avenir européen auquel aspirent pourtant 80 % de la population, d’après les sondages, et surtout l’immense majorité d’une jeunesse farouchement attachée à l’indépendance du pays. Mais les espoirs, renforcés par l’obtention du statut de candidat à l’adhésion en 2023, risquent d’être déçus. Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, jugeait le 24 mai dernier que la loi sur l’influence étrangère est « incompatible avec les valeurs de l’Union européenne ».
Tout au long de l’examen de la loi, des dizaines de milliers de Géorgiens ont bruyamment manifesté leur colère dans les rues de la capitale, dressé des barricades devant le Parlement et brandi des drapeaux européens, exprimant un fort sentiment de trahison.
Un oligarque pro-russe à la manœuvre
Car le parti Rêve géorgien au pouvoir depuis 2012 s’est longtemps dit favorable à un rapprochement avec l’Occident, l’Union européenne et l’Otan, tout en maintenant des liens avec Moscou. Rêve géorgien a été fondé par le milliardaire pro-russe Bidzina Ivanichvili, qui vient de reprendre officiellement la présidence du parti.
Dans un discours prononcé devant le Parlement, lors d’une contre-manifestation orchestrée par le pouvoir le 29 avril à Tbilissi, l’oligarque a attaqué bille en tête l’Occident, « parti mondial de la guerre », et fustigé « la propagande LGBT » qui, selon lui, menacerait les valeurs familiales traditionnelles de la Géorgie. Ses propos ont été suivis d’une proposition de loi visant à interdire « la propagande LGBT dans l’enseignement et dans les médias », un texte directement inspiré d’une loi russe similaire.
La répression et les arrestations qui ont émaillé les manifestations du printemps n’ont pas suffi à entamer la détermination de la population géorgienne face au virage pris par leur pays. Soucieux de rester dans un cadre démocratique, les opposants comptent maintenant exprimer leur volonté de changement dans les urnes. Le pays se prépare aux élections législatives qui se tiendront le 26 octobre et donneront lieu à la nomination d’un nouveau Premier ministre dans un climat, sans doute, éruptif.
[Marie-Nadine Eltchaninoff