Introduire la citoyenneté dans l’entreprise
Les salariés se sentent malmenés. Pourtant que serait la situation actuelle sans les lois Auroux ? En donnant aux salariés des droits de citoyens, ces lois permettaient d'autres rapports dans les entreprises.
Rappelez-nous les lois Auroux ?
Jean Auroux. J’ai décliné mon rapport sur « Les nouveaux droits des travailleurs » tout au long de l’année 1982 grâce à un Parlement résolument progressiste. Dans ce qu’il est convenu d’appeler « les lois Auroux », on trouve la limitation de l’intérim, le droit d’expression, le renforcement du rôle des délégués syndicaux et d’un CE disposant désormais de formation, d’informations renforcées et d’un budget propre, le développement de la négociation, la création du CHSCT , la généralisation de la cinquième semaine, le passage aux 39 h, etc.
La loi et les textes règlementaires ont été globalement respectés jusqu’à ce que la droite les remette progressivement en cause. Par contre, tout ce qui relevait de la négociation a été beaucoup moins suivi d’effet, notamment du fait patronal.
Vous disiez : « les travailleurs doivent être des citoyens à part entière dans l’entreprise » ?
La vie économique est alors absente du champ de la démocratie proposée dans presque tous les autres domaines de l’activité humaine. Est-il légitime qu’un salarié, qui peut assumer d’importantes responsabilités – municipales par exemple – dans la cité devienne soudain « incompétent » dès qu’il pousse la porte de son usine ou de son bureau ? C’est la raison pour laquelle j’ai renforcé les moyens et les missions du comité d’entreprise qui devrait être le premier « consultant » de l’entreprise. Mais l’ultralibéralisme dominant se refuse à partager le pouvoir économique. Je suis favorable aux services publics et au développement de l’économie sociale dans le cadre d’un véritable pluralisme économique.
Les 0,2% de la masse salariale aux CE fut une belle réussite ?
Ces moyens financiers propres ont permis aux CE de faire réaliser des expertises utiles pour la vie de l’entreprise et de ses salariés, en particulier des audits économiques liés au droit d’alerte. Encore faut-il que les employeurs sachent se libérer de la dictature financière des actionnaires ! Je suis favorable à l’extension des droits des comités d’entreprise car ils doivent être, avec les syndicats, les contre-pouvoirs nécessaires pour rééquilibrer les données du pouvoir économique qui conditionne la vie de nos compatriotes. Enfin, comment ne pas s’interroger sur la faible syndicalisation et le petit nombre des comités d’entreprises : 38 000 environ pour deux millions d’entreprises.
La création des CHSCT a réduit les accidents et donc les morts, et pourtant ?
Les CHSCT se sont bien développés aussi bien en nombre qu’en qualité d’action. L’introduction de nouveaux process, de nouvelles technologies et surtout du stress lié aux sacro-saintes concurrence et compétitivité créent des conditions de travail physiques et mentales de plus en plus éprouvantes. Il reste beaucoup à faire comme le montre l’actualité sociale et pas seulement chez France Télécom. Et que dire des effectifs insuffisants de la médecine du travail !
Propos recueillis par Georges Goubier
Jean Auroux en quatre lois
Jean Auroux : né le 19 septembre 1942, député de la Loire, maire de Roanne de 1977 à 2001. Il fut notamment ministre du Travail dans le gouvernement Mauroy de mai 1981 à juin 1982.
Les lois Auroux sont un ensemble de quatre lois modifiant fortement le droit du travail : lois relatives aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, au développement des institutions représentatives du personnel, à la négociation collective et au règlement des conflits du travail, et aux Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
La CFDT a été à l’initiative de nombreuses dispositions reprises dans ces lois.