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L’intergénération, levier de la solidarité sociale selon Serge Guérin


Quel avenir attend un pays qui a de moins en moins conscience de son destin commun, et de plus en plus de difficultés à le définir et à construire ce lien de tous avec tous qui fait société.

Les zones de non-droit se multiplient. On perçoit une régression, une peur et des tensions qui nous éloignent chaque jour un peu plus de notre République, et donc, de notre société. Une des meilleures réponses à cette régression passe, selon le sociologue Serge Guérin, par l’interdépendance générationnelle et culturelle.

Penser l’intergénération conduit à s’interroger sur le « mieux vivre », sur l’attention à l’autre, le care, le lien social…

Le « lien social » naît de notre conscience du besoin de l’autre, de notre interdépendance les uns vis-à-vis des autres, et de la façon dont nous agissons en cohérence avec ce sentiment du besoin des autres. C’est pourquoi, on peut contester le terme de personnes dépendantes. Très souvent associées à l’âge, aux vieux. Nous sommes tous dépendants les uns des autres. Et nous avons tous à apprendre les uns des autres, notamment entre les générations. C’est même une grande leçon sociologique portée par Durkheim dès l’origine. Cette interdépendance n’est pas négative, mais positive. Elle n’est pas un poids ou une tare, mais une chance et un bonheur qui se travaillent.

Il n’y a pas de société qui tienne sans une conscience active et entretenue de cette interdépendance. Il y a là quelque chose de l’ordre de l’utilité, car à un moment ou un autre, j’aurai toujours besoin de l’aide d’un autre ; mais aussi de l’ordre du plaisir, de l’art de vivre : manger un merveilleux gâteau au chocolat, seul dans son coin, c’est bien, mais n’est-ce pas mille fois plus agréable de le partager, de le faire découvrir à un proche ?

La qualité du lien social tient aux individus eux-mêmes, à leur personnalité, tout comme à leur milieu et à leur catégorie sociale. Mais la nature des relations que nous tissons avec les autres n’est pas une donnée figée par notre caractère et notre milieu social. La société a un rôle majeur, en particulier via l’éducation, pour aider à construire, à maintenir, à alimenter et même à faire évoluer ce lien social qui nous fait tenir ensemble.

Grosse limite

Le premier des liens sociaux se joue bien sûr au sein de la famille. Historiquement, l’élargissement de cette relation essentielle et la prise de conscience de son importance au-delà de la famille pour faire société ont d’abord été produits par la religion. Il est intéressant de rappeler sa double étymologie latine : relegere signifiant « relire » et surtout religare signifiant « relier ». Les révolutionnaires de 1789, puis les fondateurs de la IIIe République, ont cherché à remplacer la religion par la République et la Nation avec mission de création de lien social et d’une spiritualité laïque. Les solidaristes, en particulier, ont cherché l’équilibre solidarité/responsabilités. De ce point de vue, nous vivons une sacrée régression aujourd’hui !

Mais le lien social ne suffit pas. Il permet de produire des solidarités, voire de construire des projets « bottom-up » hors de l’implication de l’État. Une démarche très riche, théorisée par les Britanniques avec Robert Putnam et la notion de capital social. La gauche blairiste comme les conservateurs ont cherché à théoriser cette dynamique pour justifier le retrait de l’État. La grosse limite, c’est que pour produire de la solidarité au niveau du territoire, là où elle est la plus efficace, il faut aussi qu’il y ait une protection sociale pour tous et à l’échelle de la nation. Tocqueville nous avait prévenus ! Et dans un pays comme la France, les inégalités de territoire contribuent à casser ce sentiment national.

Histoire commune

L’intergénération, en particulier, a ceci d’intéressant qu’elle existe au-delà de toutes nos différences de conviction, religieuse et plus largement idéologique. Elle est d’ailleurs souvent très forte au sein des communautés traditionnelles, et bien sûr avant toute chose au cœur de la famille. C’est ce vécu de chacun, au sein de sa propre famille, qui donne son caractère universel et si facilement compréhensible à cette notion d’intergénération. Au sein d’une famille, les parents transmettent leurs histoires, leurs valeurs, leurs codes de conduite à leurs enfants, et ils s’enrichissent de ce que leurs enfants leur apportent, du moins quand tout se passe bien. La réciprocité, l’entraide, la transmission des savoirs et savoir-être semblent devoir trouver leur place naturelle entre les générations qui composent une famille, et j’y inclus, bien sûr, les grands-parents ou même les arrière-grands-parents au niveau de la mémoire commune.

Le concept d’intergénération étend ce lien indiscutable à l’ensemble de la société, par l’école évidemment où tout passe par cette transmission entre générations, mais aussi par tous les mécanismes d’entraide et d’accompagnement social, par les petits services que chacun se rend entre voisins, et plus largement par ce sentiment d’une histoire commune à transmettre et à enrichir par les échanges entre les citoyens de tous âges et de toutes conditions.

Utile et symbolique

On peut avoir en tête de multiples exemples, comme ce foyer logement, nommé maintenant résidence autonomie, à Besançon. La mise aux normes de l’ensemble de l’immeuble pour des personnes à mobilité réduite, en particulier des étages, aurait été beaucoup trop chère. Il a donc été décidé de mixer les populations : les plus âgés dans les étages au-dessous, les plus jeunes au-dessus, mais avec des incitations originales pour pousser ces mêmes jeunes à venir s’y installer. Les jeunes s’engageant à passer une dizaine d’heures par mois à discuter, à échanger avec les personnes âgées se sont vu proposer des fortes baisses de loyer, ou la possibilité de ne pas avoir de charges à payer. Que s’est-il passé ? Certains jeunes ont fait leurs dix heures avec l’œil rivé sur leur montre, alors que d’autres se sont piqués au jeu et ont bâti de vraies relations avec les anciens. Même topo du côté des personnes âgées, certaines ayant participé à l’histoire sans trop d’entrain, mais une majorité l’ayant vécu comme un bonheur, avec, qui plus est, une aide bien réelle au quotidien. Quoi qu’il en soit, le constat, pour que des relations de réciprocité se mettent en place, c’est que ce type de mixité sociale implique une volonté, de vraies incitations et une organisation solide.

L’échange marchand ne résume pas le lien social. Le don est au centre de la société. Le don, ce n’est pas l’acte gratuit. Marcel Mauss l’expliquait très bien : « Le don et le contre-don ; je donne, je reçois, je rends. » Je donne parce que j’attends un retour : pour l’essentiel du symbolique plus que de l’argent, qui m’aide à me sentir bien, mieux considéré, utile pour quelqu’un, avec aussi pourquoi pas l’impression d’avoir appris quelque chose. Que ça fasse du bien, c’est le meilleur de tous les médicaments !

La force de l’intergénération réside dans cette relation à la fois symbolique et utile. La prise de conscience de notre interdépendance, et la satisfaction éprouvée grâce à ce lien entre générations, passe par cette réciprocité. Et cette réciprocité ne s’impose pas, mais elle se construit, au niveau des personnes, évidemment, mais aussi au niveau de la société.

Serge Guérin, sociologue et consultant, professeur à l’INSEEC où il dirige le MSc « Directeurs des établissements de santé ».
UCR

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