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« On a banalisé la pauvreté » par François Soulage, président d’Alerte


La pauvreté a disparu de l’actualité. Aurait-on fini par enterrer le sujet parce que d’autres seraient plus importants ? Ou est-ce parce qu’il ne s’y passe plus rien ? Regard pertinent de François Soulage, président du Secours Catholique et aujourd’hui du collectif Alerte qui regroupe les associations militantes de lutte contre l’exclusion.

On a banalisé la pauvreté. Le seuil de pauvreté touche environ 14 % des Français (8,5 millions de personnes). Mais la très grande pauvreté représente environ 6,5 millions de personnes. Or aujourd’hui, de manière tout à fait cynique, 10 % de la population – quand nous connaissons 50 % d’abstention et qu’en particulier, dans cette catégorie, l’abstention est plutôt à 70 % –, cela n’intéresse pas les politiques

Plus nous parlons de pauvreté, plus nous renvoyons chacun au risque qu’il a de devenir pauvre. Plus nous en parlons, plus nous fragilisons la base électorale traditionnelle, de l’ouvrier pas très bien payé, au fonctionnaire dont le point d’indice n’a pas augmenté depuis six ans. À l’inverse, moins on en parle, moins on crée de malaise social.

Comme 60 % de la population marquée par la grande pauvreté ne s’en sort pas, c’est dramatique. S’occuper de la très grande pauvreté est un vrai risque de fragilisation des populations juste au-dessus.

Les associations, dans ce débat, se satisfont-elles de la situation ?

Il existe deux types d’associations : celles qui gèrent la pauvreté comme Aurore, Coallia et Adoma… et qui sont financées à 95 % par les pouvoirs publics. Cela ne se passe pas trop mal pour elles. De l’autre côté, il y a celles qui ont fait de la lutte contre l’exclusion leur vocation. Elles ne sont pas non plus en mauvaise situation, puisque les Français donnent grâce à un dispositif fiscal extrêmement généreux. Les dons arrivent. Elles ont une bonne communication. Comme elles n’ont pas de langage révolutionnaire, ce n’est pas très grave, puisque, au contraire, elles essayent de présenter un regard positif. Au final, les deux types d’associations ne bougent pas trop. Les unes parce qu’elles ont les moyens de leur vocation, et les autres parce qu’elles gèrent des dispositifs. Comme tous les gestionnaires, elles ont un compte d’exploitation et s’en préoccupent. On achète donc leur silence.

Comment les associations militantes jugent-elles aujourd’hui la situation ?

On a obtenu des pouvoirs publics un plan de lutte contre la pauvreté, il y a trois ans. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, s’en était vraiment bien occupé. Nous pouvions penser que cela allait avoir des suites. Depuis l’arrivée du Premier ministre actuel, le sujet a été confié à un secrétariat d’État chargé de la Lutte contre l’exclusion qui est en même temps en charge du handicap.

Le travail d’Alerte est d’en faire un enjeu politique. Lorsque Manuel Valls a fait le grand plan sur l’emploi, nous nous sommes préoccupés de deux choses : le chômage des jeunes, et la formation professionnelle pour les plus éloignés de l’emploi. C’est là que nous avons obtenu la reconnaissance du fait qu’ils ont besoin de 400 heures de formation et non pas d’un compte personnel de formation habituel à 150 heures de formation. Notre travail est de rappeler en permanence qu’il existe des personnes très pauvres et qu’un dispositif général ne s’attaque pas à la pauvreté.

Ce positionnement vaut aussi pour les régions ?

Bien sûr. Et c’est le problème du monde associatif qui est très faible en région, parce qu’il a énormément de mal à se structurer. Il n’a pas la masse de bénévoles suffisante. En dehors de la région parisienne, dans la plupart des régions de France, les associations n’ont pas les personnes formées pour un débat avec le président de région. Elles essaient, mais ont du mal. Si nous voulons avoir une discussion région par région, nous n’y arriverons pas. Nous ne faisons pas le poids. Notre stratégie est donc de jouer le national pour tout ce qui concerne l’emploi, la formation et le logement…

La gestion du RSA fait polémique. Que dit Alerte ?

Le revenu de solidarité active (RSA) n’est pas de l’assistanat. C’est un droit que s’est donné la société de venir au secours de personnes qui sont, contre leur gré, privées d’emploi. Nous avons donc pris une position très claire : le RSA est un droit. Mais il est hors de question d’accepter un droit avec un devoir de réciprocité. Ce n’est pas tenable. L’expérimentation très intéressante d’ATD Quart Monde « Zéro chômeur » repose sur le fait qu’on met les personnes en situation d’emploi et non pas de bénévolat, avec une activité rémunérée.

La référence au droit est-elle encore suffisante aujourd’hui ?

Nous n’avons rien trouvé de mieux. Heureusement, il existe un droit au logement opposable (Dalo). On est d’ailleurs en train de réfléchir à faire basculer le système d’une astreinte payée par les communes à une indemnité payée aux personnes. L’État, qui ne donne pas un logement, devra payer une astreinte à une caisse pour la construction de logements. Nous voudrions que la personne privée de logement puisse toucher une indemnité. Il n’y a pas de logement, mais le droit existe, et nous arrivons quand même à reloger un certain nombre de prioritaires. Si le Dalo n’existait pas, nous ne relogerions personne. Même si le droit est très imparfait, cela nous permet aussi de réclamer qu’il soit appliqué.

Quel regard portes-tu sur la loi El Khomri ?

Je parle ici en mon nom personnel et non pas au nom d’Alerte. Je continue à penser – j’ai peut-être tort – que quand on est chef d’une petite entreprise, on ne licencie pas parce qu’on en a envie. J’étais dans une petite entreprise. On avait 42 salariés et je sais ce que sont les variations d’un carnet de commandes et une échéance que nous ne faisons pas à la fin d’un mois. Un vrai problème existe tant que nous ne dirons pas cette vérité. Voilà le constat. Comment faire pour que le salarié n’en soit pas la victime ? Plutôt que la formule lapidaire : « le chef d’entreprise est un salaud », commençons par dire : « Acceptons cette idée ». Et à ce moment-là, on peut commencer à discuter. Tant qu’on ne travaillera pas sur la flexibilité en prenant les deux en même temps, on ne s’en sortira pas. C’est un peu ce que dit Laurent Berger.

On réagit comme si toutes les entreprises faisaient des licenciements boursiers. Traitons-les différemment. Le licenciement boursier existe, c’est dégoûtant. Mais ne globalisons pas, sinon on ne s’en sortira pas. La loi El Khomri ne va pas assez loin sur les grandes entreprises. Une entreprise non cotée n’a pas du tout les mêmes contraintes. Elle a d’abord besoin de gagner sa vie.

Propos recueillis par Daniel Druesne

François Soulage, président d’Alerte
Daniel Druesne

« Nul n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager »

À 17 ans, j’ai été mis à la porte des Scouts parce que je ne supportais pas le lever de couleurs tous les matins. Je leur ai dit : « On est là pour éduquer et former des jeunes, pas pour les embrigader ». Je me suis fait virer. J’ai donc pris la direction d’un petit groupe de jeunes, ici, sur ma terre à Nanterre. Depuis, je n’ai jamais quitté ce monde. J’ai participé aux premières cités de transit pour accueillir des familles.

La rencontre avec Rocard en 1969 m’a fait évoluer. Cet homme avait vraiment envie de faire bouger les choses. Et j’ai eu la chance d’être un collaborateur très proche de lui. À condition d’oser parler, on peut faire bouger les choses. Tant que j’ai la possibilité d’utiliser ce petit bout de parole que j’ai obtenu, je continuerai à l’utiliser. Le jour où ma parole ne servira plus, je m’arrêterai.

Nous ne pouvons pas dire que la vie soit triste. Tant que je peux me lever à 6 h 30 le matin pour aller voir mes amis migrants, j’y vais. En plus, je reçois beaucoup. Nul n’est trop pauvre pour n’avoir rien à partager.