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Le 9 mai 2019, toute l’Europe a rendez-vous en Roumanie


Un syndicaliste roumain nous décrit la situation de son pays. Une réalité méconnue en France à lire !

À quelques jours du Conseil européen qui va se tenir à Sibiu en Roumanie lors de « LA journée de l’Europe », le 9 mai prochain, le président de la confédération roumaine « Cartel ALFA », une des confédérations syndicales roumaine, livre ses analyses sur la situation de la Roumanie. Rappelons que ce pays assume la présidence de l’Union européenne jusqu’au 30 juin prochain.

Sur la situation de ton beau pays, peux-tu donner quelques analyses et appréciations, y compris à propos de la présidence semestrielle Roumaine de l’Union européenne ?

Bogdan Hossu. Nous sommes au milieu de la présidence Roumaine du Conseil européen et, malgré les doutes exprimés, nous pensons que la Roumanie a bien rempli ce rôle qu’elle assume pour la première fois depuis son adhésion en 2007.

C’est une période intense au niveau européen, qui marque la fin du cycle législatif au cours duquel de nombreux dossiers restent à finaliser, certains controversés, une période qui coïncide avec la date à laquelle le Brexit devait avoir lieu et les élections européennes qui doivent se tenir.

Cependant, il est regrettable qu’un gouvernement social-démocrate d’un pays exerçant la présidence de l’Union Européenne ne donne pas la priorité au dialogue social. Les mesures prises pour inclure le sujet de la négociation collective à l’ordre du jour de la réunion tripartite en vue d’obtenir une résolution spéciale ne se sont pas concrétisées. Le gouvernement roumain est toujours en train de décliner le sujet, pour justifier qu’il n’y a pas de place à l’ordre du jour.

Les élections européennes constituent un moment crucial pour l’avenir de la construction européenne. La plus grande crainte est la montée des partis d’extrême droite et leur rapport de force au sein du nouveau Parlement. Quelle est la situation en Roumanie ?

BH. Cette année et la suivante, nous avons quatre campagnes électorales : européenne, présidentielle, locale et parlementaire. La tendance, avec certaines nuances, aux populistes est de plus en plus importante.

D’une part, le parti au pouvoir adopte de plus en plus une rhétorique nationaliste et hautaine dans laquelle les multinationales et les exploiteurs étrangers sont le principal ennemi imaginaire.

D’autre part, l’opposition parlementaire est capturée par un autre populisme centré sur la question de la lutte contre la corruption, mais avec de forts accents justiciers et punitifs, dans laquelle la solution principale pour l’élimination de la corruption semble être le démantèlement de l’État et la privatisation du plus grand nombre de biens et services publics.

Entre ces deux extrêmes, des questions importantes, voire vitales, seraient traitées de manière marginale ou totalement ignorées : la durabilité des systèmes publics de protection sociale, la numérisation, l’automatisation ou la transition vers une économie à faibles émissions de carbone ne sont pas sur l’agenda publique, bien qu’il s’agisse de priorités au niveau européen, assumées par la Présidence Roumaine elle-même.

La Commission et le Parlement européen sont préoccupés par l’état de droit et les modifications apportées au droit de la justice. Estimez-vous ces préoccupations justifiées ?

BH. Les modifications successives des lois de la justice ont créé un état de tension et une série de manifestations, y compris parmi les magistrats.

Le gouvernement actuel ne dispose ni de légitimité ni de crédibilité pour mener à bien une réforme du système judiciaire. Toute législation adoptée suscite des soupçons a priori, étant donné que la voie législative est dans cet ordre : adoption, publication, réactions et discussions, éventuellement retrait et modification de l’acte normatif. Mais l’ordre est complètement faux.

Le dialogue avec les partenaires sociaux et toutes les parties prenantes doit avoir lieu AVANT pas APRÈS l’adoption d’un acte normatif. Malheureusement, c’est le style de travail du gouvernement, et la plupart du temps, nous nous réveillons avec des lois normatives posant de grandes difficultés d’application et créant plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.

Par exemple, nous avons la récente réforme fiscale, par laquelle les cotisations sociales de l’employeur ont été transférées à l’employé. Cette loi a permis à l’employeur d’être pratiquement libéré de la responsabilité sociale. Ce qui est particulièrement grave, c’est que l’employé n’a aucun contrôle sur le paiement des cotisations qui incombe à l’employeur. Si l’employeur ne les paye pas, l’employé est pénalisé, à la fois au niveau des pensions et services médicaux.

Quelle est la situation sociale dans un pays où l’économie va mieux ?

BH. En Roumanie, nous assistons à un paradoxe. Même si en termes de PIB, l’économie a connu une croissance spectaculaire au cours des dernières années, cette augmentation est pratiquement sans incidence sur le bien-être des citoyens. Les inégalités demeurent à un niveau élevé, le risque de pauvreté touche un tiers de la population. De plus, le risque de pauvreté au travail est préoccupant, avec un cinquième des personnes en situation de pauvreté, un double pourcentage de la moyenne européenne.

La migration des Roumains vers d’autres pays de l’UE se poursuit au même rythme, la pénurie de personnel créant des tensions sur le marché du travail. Cela est dû en grande partie à la législation adoptée en 2011. Pendant la crise dans le cadre des mesures d’austérité, une législation a bloqué la négociation collective, éliminant les conventions collectives de travail au niveau sectoriel ou national et rendant la syndicalisation beaucoup plus difficile. L’absence de négociation collective a eu pour conséquence une stagnation des salaires et une concentration autour du salaire minimum.

Malheureusement, le marché du travail n’est pas au centre des préoccupations, il n’y a que les salaires budgétaires [payés par l’État] et les retraités qui constituent apparemment un élément électoral pour garantir le soutien du parti au pouvoir. On peut dire à juste titre que les salaires du personnel budgétaire ont augmenté, mais la manière de son adoption a créé de nombreux déséquilibres entre les catégories professionnelles et entre les employés du secteur budgétaire et ceux du secteur économique, que nous nous efforçons maintenant à réparer.

La pression sur la croissance des salaires est forte et le modèle économique à faibles coûts, encouragé depuis des années comme un avantage concurrentiel par le gouvernement, montre inévitablement ses limites. Quelle stratégie adopter pour sortir de ce modèle, étant donné le manque chronique d’investissements dans les infrastructures, l’éducation, la recherche, le développement et la santé, est difficile à déterminer et constituera un défi de taille pour tout gouvernement.

Malheureusement, la voie populiste semble être la plus facile, mais ne règle en rien les problèmes du monde du travail et plus largement de la population

La Roumanie va être au centre de l’Europe à l’occasion de la tenue d’un Conseil européen extraordinaire le 9 mai prochain, jour de la Fête de l’Europe. Qu’attendez-vous de cette réunion ?

BH. C’est une réunion importante, tant pour la Roumanie que pour l’Europe. A cette occasion, nous souhaitons une rencontre avant la réunion, centrée sur deux questions importantes.

D’une part, le thème du dialogue social et sa matérialisation dans les conventions collectives de travail en tant que forme plus équitable de croissance économique et d’instruments de lutte contre la fraude fiscale et le dumping social.

D’autre part, le deuxième problème concerne le manque d’équilibre dans la répartition de la charge fiscale entre l’employeur et les travailleurs à la suite du transfert des cotisations sociales qui, en imposant la presque totalité de la charge fiscale au travailleur, attaque le modèle social européen et les systèmes publics de sécurité sociale.

Nous nous attendons à ce que le pilier social européen signé à Göteborg, devienne une priorité dans tous les pays européens

Propos recueillis par Jean-Pierre Bobichon

Qui est Bogdan Iuliu Hossu ?

Chercheur-ingénieur en électronique, Bogdan Iuliu Hossu s’est consacré au syndicalisme ces 25 dernières années. De 1996 à 2011, il a été membre suppléant du conseil d’administration du Bureau international du travail (BIT) à Genève. Président de la confédération roumaine « Cartel ALFA », une des confédérations syndicales roumaines, il est actuellement vice-président de la Confédération syndicale internationale (CSI) et membre du comité directeur de la Confédération européenne des syndicats (CES).

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