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Le Mont-Saint-Michel, victime de sa renommée


Le Mont-Saint-Michel a fêté, en 2023, le millénaire de la construction de son abbatiale. Sa silhouette iconique a attiré de tout temps pèlerins et visiteurs. Mais depuis quelques années se pose, comme pour d’autres sites touristiques, le problème de réguler une fréquentation qui explose, jusqu’à compter 25 000 à 35 000 personnes par jour.

Le mont Tombe – « tombe » signifie tertre – est le nom originel donné à cet îlot granitique qui s’élève au milieu d’une baie lui offrant un écrin maritime. Sur ce rocher, sans doute déjà voué à diverses formes de sacralité, Aubert, évêque d’Avranches, installe au VIIIe siècle un oratoire qui abrite les reliques de saint Michel, protecteur de l’empire de Charlemagne, et le mont Tombe devient le mont Saint-Michel-au-péril-de-la-mer. Une communauté de moines bénédictins édifie, au Xe siècle, une première église romane.

Puis, en 1023, débute un chantier titanesque. Au-dessus de cette construction initiale, les bâtisseurs créent un ensemble de bâtiments religieux sur trois niveaux. Le vocable « La Merveille » est utilisé dès l’origine pour qualifier ce chef-d’œuvre de l’art gothique normand.

Au cours des siècles, incendies, effondrements mettent à mal les constructions médiévales, et, au XIXe siècle, des restaurations sont entreprises et une tour-clocher, surmontée d’une flèche néo-gothique, est érigée. En haut de cette flèche, la statue dorée de l’archange saint Michel se dresse vers le ciel depuis 1897 et le Mont-Saint-Michel acquiert sa silhouette emblématique actuelle.

Le temps des pèlerins

À travers l’Europe, dès le XIIe siècle, des parcours qualifiés de « chemins de Paradis » se dessinent pour rallier les lieux de pèlerinage. Les Miquelots, nom donné aux pèlerins qui cheminent vers le mont Saint-Michel, sont nombreux. Les seigneurs, les rois, comme Philippe Auguste ou Saint-Louis, enrichissent par leurs dons la communauté monastique.

Grâce au savoir et à l’art des moines copistes, l’abbaye possède, au Moyen Âge, une des plus belles et plus fournies bibliothèques du monde occidental. Ces manuscrits rares aux riches enluminures sont aujourd’hui exposés dans un musée, le Scriptorial, à Avranches, et, désormais, sont numérisés et consultables en ligne.

Le temps des touristes

Au XIXe siècle, le pèlerin s’efface derrière le touriste. Dès 1879, une digue routière insubmersible permet un accès permanent au Mont. Cette route est élargie en 1901 pour aménager une voie ferrée et un train à vapeur amène les visiteurs au pied des remparts. Ce service faisait partie de ce qu’on a appelé « Les Trains de Plaisir », convois à tarif réduit à destination des stations balnéaires. Dès lors et avec les congés payés, la fréquentation du Mont connaît un extraordinaire engouement. Puis, avec le développement de l’automobile, un immense parking se greffe sur la digue et restaurants et boutiques de souvenirs remplacent les habitants.

Mais la digue bloque les courants, le Mont s’ensable et perd son caractère maritime. Si le train est supprimé en 1944 et les rails déposés, la digue subsiste. La plupart des Montois, qui vivent exclusivement du tourisme, refusent sa démolition. Mais les défenseurs de l’environnement obtiennent en 2015 que la digue soit arasée et de nouveaux aménagements redonnent au Mont son caractère insulaire.

Cependant, réguler la fréquentation s’avère difficile. Plus de trois millions de personnes fréquentent annuellement le Mont et en font un des sites les plus visités de France. Entre poumon économique de la région et asphyxie touristique et environnementale, le Mont-Saint-Michel, comme beaucoup de lieux confrontés au sur-tourisme, cherche la jauge idéale pour organiser les flux de visiteurs.

[Françoise Berniguet