Le préjudice d’anxiété devient un nouveau droit pour tous
Après un long combat judiciaire, les mineurs CFDT de Lorraine viennent de conquérir un droit nouveau pour l’ensemble des salariés : l’indemnisation du préjudice d’anxiété jusqu’alors réservée aux travailleurs de l’amiante.
La CFDT, avec près de 750 anciens mineurs des Houillères du bassin de Lorraine, avait engagé, dès 2013, une longue bataille judiciaire pour la reconnaissance et la réparation des conséquences de leurs conditions de travail et en particulier les effets de l’exposition à des produits nocifs et toxiques, subis lors de leur activité professionnelle (Fil Bleu 258 janvier 2020). Elle a abouti à une décision de la cour d’appel de Douai, saisie après la décision de la Cour de cassation du 11 septembre 2019. Cette décision apporte deux réponses claires.
1. L’employeur a manqué à son obligation de sécurité
Les juges considèrent que l’employeur, dans le cadre de son obligation de sécurité, doit tenir compte de l’état d’évolution de la technique et remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux. Ainsi, il est reproché de ne pas avoir suffisamment combattu le risque à sa source. En l’espèce, pour lutter contre les poussières, l’humidification réalisée et les mesures prises étaient insuffisantes pour empêcher la diffusion des poussières soulevées par le travail d’abattage et de havage résultant de l’évolution de la technique de foration.
Insuffisantes également pour empêcher la diffusion de poussières de charbon, d’amiante ou de produits toxiques générées par le travail en cokerie ou dans les ateliers. De même, si des masques ont été fournis, ils étaient inadaptés ou fournis en nombre insuffisant pour assurer une protection efficace des mineurs.
2. Les anciens salariés justifient d’un préjudice d’anxiété relatif à l’inquiétude permanente d’un risque élevé de développer une pathologie grave
Démontrant tout à la fois le caractère dangereux de l’exposition pour leur santé et la situation d’anxiété permanente, les mineurs CFDT ont produit des statistiques du nombre de maladies déclarées depuis le début de la procédure. Mais également des statistiques du nombre de fautes inexcusables, reconnues en raison des manquements à l’obligation de sécurité de l’employeur.
La cour d’appel de Metz avait débouté les mineurs en rejetant les attestations de témoignages et modes de preuve libre traditionnellement admis. Mais la cour d’appel de Douai s’est attachée à tous ces modes de preuve, citant les attestations et témoignages nombreux des mineurs. Elle reconnaît les statistiques pour admettre l’existence du préjudice d’anxiété, relevant que plus de trois cents mineurs ont été atteints d’une maladie professionnelle reconnue, consécutive à l’inhalation de ces poussières, des peintures aux braies, des huiles et du trichloréthylène présents dans les établissements et les puits exploités par les houillères du bassin de Lorraine, onze d’entre eux étant décédés à ce jour...
L’action des victimes de l’amiante avait permis d’aboutir, en 2002, à imposer l’obligation de sécurité de l’employeur dans le contrat de travail qui a fortement incité de nombreux employeurs à la prévention.
Près de vingt ans plus tard, la justice a donné raison à la détermination de la CFDT et des mineurs de Lorraine, non seulement en réparant le préjudice enfin reconnu, mais également en créant un droit nouveau pour tout salarié victime d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave. Une évolution qui contraint les employeurs à plus de prévention et de sécurité.
Gilbert Jérôme
Les limites de la prescription
Les mineurs ont engagé leur action dans le cadre légal d’une prescription trentenaire. Depuis la loi de 2008, puis l’accord national interprofessionnel de 2013 sur la qualité de vie au travail, une telle action reste possible jusqu’à deux ans après le départ de l’entreprise.