UNION CONFÉDÉRALE CFDT DES RETRAITÉS

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Le sursaut éducatif face à l’intolérance


Le meurtre atroce de Samuel Paty a mobilisé toute la société et particulièrement la communauté éducative. Dans toutes les écoles, les enseignants font vivre les valeurs républicaines – la liberté, la laïcité, la solidarité et la responsabilité – en leur donnant du sens. Parents et grands-parents sont concernés. Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen CFDT, répond à nos questions.

Comment les enseignants ont-ils vécu ce tragique événement et la solidarité à leur égard ?

Catherine Nave-Bekhti
D.R.

L’assassinat horrible de Samuel Paty par un terroriste islamiste a profondément choqué les enseignantes et enseignants, l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale. Choqués par la sauvagerie de l’acte, choqués par le sens, le symbole de cet attentat contre un professeur qui enseignait les valeurs de la République. À la sidération provoquée par l’attentat, s’est ajoutée une inquiétude sourde au fur et à mesure que l’on découvrait une forme de banalité du mal dans l’implication de quelques élèves, parents d’élèves au-delà du père auteur de vidéo et proche d’un idéologue islamiste. Cette inquiétude, c’est celle de se demander s’il faut désormais redouter les élèves et leurs parents, s’il faut avoir peur d’enseigner. Cette inquiétude n’occulte pas la richesse de la relation à chacun de nos élèves pour qu’elle ne trouble pas la relation éducative et pédagogique au cœur de nos métiers, pour ne pas céder non plus à la terreur.
La solidarité à l’égard du corps enseignant a rasséréné, elle a été source de fierté aussi. Elle était indispensable, c’est non seulement l’École mais la République elle-même qui était visée. Après des vagues successives de « prof bashing », des enseignants ont eu l’impression que c’est dans l’effroi seulement qu’une partie de la société semble prendre conscience et reconnaître le rôle de l’École et de celles et ceux qui y travaillent.

Quels sont les facteurs qui permettent d’éveiller les consciences, de développer un esprit critique des jeunes pour leur émancipation, d’enseigner le fait religieux ?

Les programmes d’histoire-géographie, au collège, incluent déjà l’émergence des grands monothéismes, sans être confondus avec un enseignement du fait religieux ou un cours de religion. Il s’agit de connaître les religions, leurs places dans les sociétés, la sécularisation, l’essor de la libre-pensée… Pour éveiller les consciences, développer l’esprit critique des jeunes pour leur émancipation, l’éducation fait beaucoup en matière d’acquisition de connaissances, de découverte de champs de réflexion. Elle apprend la méthode pour se documenter, pour comprendre et évaluer une information dans un univers médiatique mouvant et dans lequel les sources fiables sont concurrencées par des officines peu recommandables. Pour faire plus et mieux, il faut donner plus d’importance à l’éducation aux médias et à l’information dans tous les enseignements et y former les enseignants. Cela suppose aussi la pratique du débat, la construction et la conduite collective de projet. Ces dernières années, le recul de Jean-Michel Blanquer sur les enseignements pratiques interdisciplinaires au collège et la suppression des travaux pratiques encadrés aux lycées est donc à l’opposé de ce qui encourage le travail collectif entre enseignants et avec des élèves. Cette politique a fait reculer les logiques de coopération, l’apprentissage de démarches de recherche.

Quel rôle éducatif peuvent avoir les parents et grands-parents dans le contexte actuel ?

Parents et grands-parents continuent évidemment d’avoir un rôle éducatif très important. Parler, raconter, débattre de l’histoire, des histoires vécues à chaque génération, de l’actualité, de ce qu’enfants et petits-enfants vivent et apprennent à l’école, les écouter, les questionner. Toutes les occasions de partager un jeu, une chanson, un livre, un film, une recette de cuisine, une promenade… participent de la construction affective et intellectuelle des enfants, des adolescents. Le rôle éducatif des parents et grands-parents est de s’intéresser à ce qu’ils apprennent à l’école et dans leur vie en général, de leur faire découvrir ce que nous aimons. Et aussi, de leur faire éprouver l’importance de la solidarité, de tout ce qui permet la vie en société dans un pays multiculturel dans lequel différence ne doit pas rimer avec rejet, stigmatisation ou discrimination.

Quels sont les leviers essentiels pour répondre à ces défis éducatifs dans notre climat délétère ?

Tout ne relève pas de la seule institution scolaire. Cet assassinat a été perpétré par un individu qui n’avait aucune relation avec le collège de Conflans, beaucoup s’est joué sur les réseaux sociaux. Récemment des associations que l’on peut qualifier de réactionnaires, des groupes religieux intégristes de différentes obédiences, des politiques ont attaqué de manière frontale et structurée l’École parce qu’elle enseignait l’égalité entre femmes et hommes et l’éducation à la sexualité. Cet enseignement gêne encore une partie de notre société, autant chez des chrétiens, des musulmans et des immigrés récents. Un gouvernement républicain a cédé à cette pression antirépublicaine. L’École n’a pas renoncé à éduquer pour cette égalité des sexes, mais la République lui a demandé de le faire un peu cachée, alors que c’est une chance d’apprendre et de vivre ce droit fondamental.
Lorsque les inégalités et les discriminations font un travail de sape, les jeunes constatent que les valeurs et principes enseignés ne s’incarnent pas dans leur vie quotidienne. Quant aux pédagogies, il faut que les élèves puissent faire l’expérience du débat et de la démocratie pour agir. Les pratiques coopératives en classe le permettent, des structures existent, mais l’Éducation nationale se soucie peu de la réalisation effective de ces projets. Enjoindre à nos jeunes d’être républicains plus et mieux que les adultes sans leur permettre de vivre réellement les principes républicains est contre-productif.

Propos recueillis par Jacques Rastoul

Une des nombreuses manifestations en hommage à Samuel Paty.
D.R.

Frédéric Sève, unis face à l’extrémisme

« L’ensemble de la CFDT apporte son soutien aux enseignants profondément meurtris », a souligné le secrétaire national. « Les Français sont à leurs côtés dans leur travail essentiel auprès de la jeunesse. C’est en restant unie et cohérente que notre société aura la force de faire face à l’extrémisme religieux et de faire reculer la haine et le rejet de l’autre, qui se répandent comme un poison sur les réseaux sociaux, mais aussi dans le monde réel. »

Fage. Les jeunes et les étudiants solidaires

Paul Mayaux, président de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), s’est associé à la douleur des proches, des élèves et du corps enseignant. « À ces femmes et ces hommes qui participent tous les jours à l’émancipation de la jeunesse en développant et initiant l’esprit critique et leur conscience citoyenne, en les incitant à s’exprimer librement. »

« Face à l’obscurantisme, faisons grandir une société unie et fraternelle »

Face à l’obscurantisme et contre la stigmatisation des musulmans, l’ensemble des organisations syndicales d’enseignants, dont le Sgen et la Fep CFDT, des associations étudiantes et lycéennes, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’Homme, France nature environnement ont produit une déclaration commune contre ce « visage horrible du terrorisme ».

Pour en savoir plus

Laïcité, un socle pour le vivre ensemble, Fil Bleu de janvier-février 2017.

Observatoire de la laïcité, vidéos « idées fausses sur la laïcité », mai 2020] :

le fait religieux en entreprise, CFDT, édition 2018

Favoriser l’engagement civique et la participation citoyenne au service du développement durable, Thierry Cadart, Les avis du CESE, octobre 2020