UNION CONFÉDÉRALE CFDT DES RETRAITÉS

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Laurent Berger : « Le visage du syndicalisme a changé »


Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a participé au conseil national de la CFDT Retraités. Au sommaire des échanges, les élections, l’actualité revendicative, la réflexion en cours sur l’organisation et le fonctionnement de la CFDT. Extraits.

À l’heure actuelle, dans la société française, beaucoup pensent que le progrès n’est plus possible. La seule recherche du progrès serait même un retour en arrière. Il est de fait difficile de dessiner un nouveau modèle de développement fait de performances économiques, de respect de l’environnement, de protection et de montée en compétences des travailleurs, de plus juste répartition des richesses, de vision plutôt moyen et long termes dans les politiques publiques et économiques.

Les évolutions de la société sont beaucoup plus rapides que dans l’histoire récente. Et l’adaptation de nos institutions et de nos règles est lente. À l’UCR [union confédérale des retraités], vous êtes très en pointe sur les questions de société. Pour le vieillissement, gros défi à relever, le délai est important entre le constat dressé et la capacité à créer des politiques qui y répondent.

Vous avez été les acteurs majeurs et principaux sur la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, sur le premier volet. Mais nous allons devoir attendre encore le deuxième volet.

Zone grise

Dans ce contexte global, la bonne nouvelle est la nécessité de la transition écologique, qui se conjugue avec une révolution numérique extrêmement forte, déjà à l’œuvre. La transition écologique est une opportunité en termes de création d’emplois, de préservation de l’environnement, mais aussi en termes de mise en mouvement dans les territoires d’un certain nombre d’acteurs, de population, pour faire face à cet enjeu.

Le numérique est, lui, extrêmement anxiogène avec un risque de destruction d’emplois. Mais c’est aussi une opportunité en termes d’évolution des compétences, de réorientation d’un certain nombre de salariés sur d’autres activités, la possibilité aussi d’effacer certaines pénibilités, d’être plus rapides et ainsi de réinvestir dans des activités qui soient davantage de bien-être.

Le monde du travail est très bousculé. Le chômage reste massif. C’est un échec collectif, même si les patrons en ont une plus grande responsabilité. Le salariat se transforme profondément.

Je ne crois ni à la disparition du travail ni à celle du salariat. Mais de plus en plus, on va avoir des formes de travail avec un cumul de plusieurs activités. Des gens vont passer d’un statut de salarié à indépendant, parfois les deux en même temps. Une zone grise se développe entre salariat et travail indépendant. Pour l’instant, elle manque de réponses syndicales en termes de justice sociale.

Jouer le jeu

Le modèle de protection sociale conçu pour le travail salarié peine à s’adapter. Depuis des années, la CFDT se bat pour les plus précaires, les jeunes, les CDD, les femmes seules, les travailleurs indépendants. Ce système de protection sociale s’adapte assez mal à cette dualité du marché du travail et laisse encore souvent de côté un certain nombre de salariés.

Beaucoup d’angoisses donc, mais aussi beaucoup d’opportunités dont on pourrait se saisir pour construire de nouveaux équilibres. Cependant ces mutations profondes engendrent beaucoup d’incertitudes et une peur de l’avenir. Cela profite aux populistes, notamment au Front national. Celui-ci sait parfaitement surfer sur cette peur et accuser les corps intermédiaires et les syndicats de ralentir les évolutions nécessaires.

De son côté, le syndicalisme n’a pas bonne presse. À droite comme à gauche, libéraux comme étatistes, peu de gens aujourd’hui sont adeptes du dialogue social. Soit ils pensent être les représentants des travailleurs, soit ils ont une idéologie antisyndicale où il suffirait de passer en direct avec le peuple pour satisfaire les besoins de la société. Les militants engagés que nous sommes savent que c’est une impasse extrêmement dangereuse.

Le syndicalisme a aussi une responsabilité. Ceux qui s’enferment dans des postures et dans la contestation systématique donnent des arguments à ceux qui nous combattent. Une partie de ce qui s’est passé durant le dernier quinquennat n’aura pas redoré le blason du paritarisme et du syndicalisme, tout simplement parce qu’une partie des acteurs de ce syndicalisme et du paritarisme n’ont pas joué le jeu du dialogue social, de la confrontation des intérêts pour faire émerger les compromis.

Libre et engagé

Quel est le rôle d’un syndicaliste aujourd’hui, a fortiori d’un syndicaliste CFDT ?
Il est d’abord assez complexe de porter une parole modérée quand la mode est à l’outrance et à l’invective. C’est un peu difficile dans la période de défendre la négociation, le dialogue, le compromis, quand certains envisagent de gouverner par ordonnance et d’autres vous promettent les solutions toutes faites.

Nous sommes dans un moment particulièrement difficile. Mais dans la rencontre avec les militants, je vois beaucoup de lucidité et beaucoup de détermination à porter nos couleurs, à tenir un cap, un peu de désarroi parfois dans la situation, en demandant : « Où sont les solutions ? ». Mais aussi toujours de la mobilisation.

Il faut assumer notre syndicalisme. Il est singulier dans le paysage syndical français historique, c’est celui de la négociation et du dialogue social. Au moment où est attaqué le paritarisme, ne pas assumer sa part de responsabilité sur l’assurance chômage par exemple, c’est donner la main à ceux qui veulent que l’État règle tout.

Notre syndicalisme est aussi libre et engagé. La CFDT doit rester autonome vis-à-vis des partis politiques. Nous voulons faire entendre notre voix. L’histoire de la CFDT, c’est d’avoir su lutter contre toutes les formes de totalitarisme, de xénophobie, de n’avoir jamais transigé avec ce qu’on considérait être les valeurs fondamentales de notre syndicalisme.

Structurée et compliquée

À la suite de notre première place dans la représentativité des salariés du privé, nous avons décidé d’organiser un grand rassemblement de militants en octobre 2017. Nous envisageons une grande campagne de communication pour expliquer que le visage du syndicalisme a changé. Il faudra qu’après les élections, nous soyons en capacité de surfer sur ce résultat.

La légitimité d’une organisation syndicale n’est pas simplement la confiance que lui font les salariés. C’est aussi son nombre d’adhérents. Nous devons remettre la question de la syndicalisation en haut de nos priorités. C’est vrai à tous les niveaux : pour les sections syndicales, pour les UTR [unions territoriales de retraités], pour les syndicats, pour les fédérations et les unions régionales, mais aussi pour la Confédération et évidemment pour l’UCR.

Lors du congrès de Marseille, en 2014, les syndicats nous ont demandé d’aller plus vite et plus loin. Nous avons lancé une étude sur les missions des structures fédératives. Un groupe a permis d’établir un diagnostic sur le rôle des syndicats et le rôle des uns et des autres dans la CFDT. S’en est suivie une vaste enquête sur les sections syndicales, sur les besoins et les attentes des sections.

Conclusion : notre organisation est tellement bien structurée qu’elle en est extrêmement compliquée.

Après tous ces diagnostics, trois axes de progrès apparaissent : l’accompagnement des militants, l’articulation entre les structures de l’organisation, et la nécessité d’adapter les moyens de notre organisation à nos objectifs. Comme le dit un militant, « on perd parfois notre temps dans des réunions à répétition sans nous préoccuper réellement de ce qui se passe sur le terrain ».

Nous avons lancé ces chantiers au débat à partir de propositions précises formulées sur la plateforme. Tout ce qui est dit sur la plateforme est pris en compte, étudié, discuté. Il y a actuellement plus de 200 propositions suggérées par des adhérents et des militants. Le bureau national répondra aux 50 propositions les plus soutenues. Elles seront débattues au congrès de Rennes, en 2018.

Synthèse proposée par Daniel Druesne

de gauche à droite : Dominique Fabre, secrétaire générale de la CFDT Retraités, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, Gilbert Jérôme, secrétaire général adjoint de la CFDT Retraités.
UCR