UNION CONFÉDÉRALE CFDT DES RETRAITÉS

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Les Épreuves de la vie - Comprendre autrement les Français


Avec Les Épreuves de la vie, Pierre Rosanvallon cherche à comprendre les brisures du lien social, en partant du ressenti des individus et non à partir d’analyses globales qui ont toutes montré leurs limites et leurs insuffisances.

Si, dans son analyse, l’auteur ne s’appuie pas suffisamment sur les rapports de force et de production, il n’en nie nullement ces aspects. Il a pris le parti de considérer les individus selon leurs émotions. Son approche en cela sort des sentiers battus.

En introduction, il propose la grille d’analyse suivante qui sous-tend son essai.

Les types d’épreuvesLes émotions suscitées en réactionLes attentes conséquentes
L’épreuve du mépris L’humiliation
Le ressentiment
La colère
Le respect
La dignité
L’épreuve de l’injustice L’indignation L’attention des pouvoirs aux réalités vécues
L’épreuve de la discrimination L’amertume
La rage
La reconnaissance
L’égalité des chances
L’épreuve de l’incertitude L’anxiété
La défiance
La sécurité
La lisibilité

L’épreuve du mépris

Pour Pierre Rosanvallon « mépriser une personne, c’est l’estimer inférieure, indigne d’intérêt ». Le mouvement des « gilets jaunes » est, à cet égard, révélateur : « Le lien qui les a individuellement réunis est celui d’avoir eu le sentiment d’être méprisés ». Ce premier chapitre sur le mépris met à jour la question des relations sociales actuellement très fracturées.

L’épreuve de l’injustice

Cela commence par les inégalités criantes de revenus. Les rémunérations exorbitantes des footballeurs en fournissent un exemple aberrant. « Pour la saison 2019-2020, la moyenne de la rémunération annuelle des 30 footballeurs les mieux payés était de 9,2 millions d’euros ». L’auteur dénonce aussi une « économie de la prédation » à propos des gestionnaires de fonds de pension.

Il analyse ensuite deux régimes d’injustice : les injustices de position – ressenties par rapport à ses proches – et les injustices de situation relatives à des règles générales ignorant les situations particulières. La situation des « gilets jaunes » est reprise en exemple.

L’épreuve de la discrimination

Rosanvallon reprend à son compte une définition de Danièle Lokach : « Discriminer ce n’est pas traiter moins bien, c’est établir des distinctions qui tombent sous le coup d’une disposition du droit positif ». Il précise que « la loi a progressivement étendu les caractéristiques de l’individu susceptibles de faire l’objet de discriminations de 12 à 24 » avec la prise en compte de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre, de l’apparence physique.

L’auteur note la difficulté d’évaluer et d’observer ces phénomènes par des mesures statistiques classiques, marquant sa préférence pour une approche basée sur tests de situation de la vie courante montrant la réalité de la discrimination dans l’accès à l’emploi, à un logement... La couleur de la peau, l’apparence physique, le lieu d’habitation, le nom sont autant de critères de rejets à priori.

L’épreuve de l’incertitude

En cette période de pandémie, ce chapitre est particulièrement intéressant.
En effet, pour l’individu, cette incertitude peut à la fois surgir à l’occasion d’un accident, d’une maladie, d’une perte d’emploi ou encore d’un sinistre, un incendie, une inondation, mais aussi revêtir une dimension collective à l’occasion de guerres, famines, épidémies. Pour l’auteur-historien, « la réduction des incertitudes a historiquement pris deux visages, celui du Léviathan (le recours à l’État) et celui de la “société assurancielle” ».

Le propos le plus lourd de sens est ainsi formulé : « Nous sommes en train de passer d’une époque dans laquelle la question sociale constituait le cœur des problèmes à résoudre pour bâtir un monde commun à un nouvel âge dans lequel c’est l’existence même de ce monde qui est en jeu ».

En prolongement à son essai, l’auteur laisse la parole à quatre chercheurs : Gloria Origgi, philosophe, Nicolas Duvoux, sociologue, Emmanuel Fureix, professeur d’histoire contemporaine et Aurélie Adler, maître de conférences en littérature contemporaine.

Au moment où l’élection présidentielle d’avril 2022 obsède médias et personnel politique, les femmes et les hommes politiques qui souhaitent concourir à la « charge suprême » feraient bien de se saisir des réflexions proposées dans ce livre. En conclusion, nous recommandons vivement la lecture de ce livre puissant écrit par ce « chercheur en démocratie ».

Jean-Pierre Moussy

Itinéraire de l’auteur

Historien et sociologue. Diplômé d’HEC et de l’HESS.
Ses livres portent principalement sur l’histoire de la démocratie, le modèle politique français, le rôle de l’État et la question de la justice sociale.
Professeur émérite au Collège de France - Chaire d’Histoire moderne et contemporaine.
Auparavant, il fut conseiller économique à la CFDT (1969-1972) puis conseiller politique et proche d’Edmond Maire, et rédacteur en chef de la revue de réflexion CFDT-Aujourd’hui (1973 -1977).

Parmi ses nombreuses publications, on peut citer :

Le Siècle du populisme, 2020
Notre histoire intellectuelle et politique, 1968-2018, 2018
Le Bon gouvernement, 2017
La Crise de l’État-providence, 2015
La Contre-démocratie, 2014
Le Parlement des invisibles, 2014
La Société des égaux, 2013
… sans oublier L’Âge de l’autogestion, 1976
et La Question syndicale, 1994.