Les enfants ukrainiens volés par la Russie
La Russie mène depuis le début de la guerre une vaste opération de rapt d’enfants ukrainiens déportés sur le sol russe. À l’heure des négociations avec Moscou, ils ne doivent pas être oubliés.
Déportation, camps de rééducation, adoption forcée… Ces mots disent l’horreur vécue par 20 000 enfants ukrainiens arrachés à leur foyer et déportés en Russie depuis 2022. La plateforme gouvernementale ukrainienne Children of War en recense précisément 19 546 sur la base de dossiers documentés par les familles ou les services de police. Le nombre réel est bien plus important et trop rares sont les cas de retour en Ukraine. De hauts responsables russes n’hésitent pas à parler de centaines de milliers d’enfants ukrainiens « mis à l’abri des bombes » en Russie. En totale violation des règles internationales, qu’il s’agisse de la convention de Genève ou de la convention des Nations unies relatives aux droits de l’enfant.
Un projet de longue date de la Russie
Les enquêtes menées par des ONG ukrainiennes et des centres de recherches internationaux ont conduit la Cour pénale internationale (CPI) à lancer, en mars 2023, un mandat d’arrêt pour crime de guerre contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, déléguée aux droits de l’enfant auprès du président russe. Cette dernière a largement médiatisé à des fins de propagande le « sauvetage » des enfants et leur adoption par des familles russes. Dès 2022, Poutine prenait un décret visant à faciliter la démarche, réalisable en un seul jour. Les adoptants peuvent en outre changer l’état civil de l’enfant.
La déportation des enfants ukrainiens est un projet politique, dont la mise en œuvre est constitutive d’un crime de génocide selon l’historien américain spécialiste d’Europe centrale Timothy Snyder. Ce projet répond à un double objectif. Affaiblir l’Ukraine en la privant d’une partie de sa jeunesse et pallier le déclin démographique de la Russie, dont l’indice de fécondité est tombé à 1,4 enfant par femme en 2024, un niveau jugé « catastrophique » par le pouvoir.

Russification forcée
Tous les moyens sont bons pour kidnapper le plus grand nombre d’enfants, comme le révèlent les rapports remis à la Cour pénale internationale. Dès le début de la guerre de 2022, lors des interminables combats à Marioupol, des militaires ou fonctionnaires russes étaient chargés de récupérer les enfants dont les parents avaient été tués. Les mineurs vivant dans des orphelinats ukrainiens ou placés dans des foyers ont également été transférés en Russie sans autorisation préalable des autorités ukrainiennes ou de proches. Des familles vivant dans des zones proches du front ont été convaincues par des agents russes d’envoyer leurs enfants en colonie de vacances dans le sud de la Russie. Pour la plupart, elles ne les ont jamais revus.
Les enfants évacués sont transférés vers des camps de rééducation dits « d’intégration » où ils sont soumis à un lavage de cerveau. L’usage de l’ukrainien est interdit. « Les plus jeunes apprennent des chants et récits à la gloire de la Russie, les garçons les plus âgés s’initient au maniement des armes, à la conduite de véhicules et au saut en parachute », expliquait sur Euronews Nathaniel Raymond, directeur à l’Université de Yale d’un laboratoire de recherches qui a publié une étude retraçant précisément le parcours de 314 enfants ukrainiens adoptés de force en Russie.
Ces recherches, communiquées à la CPI, sont indispensables pour établir la responsabilité de hauts fonctionnaires russes impliqués et représentent un appui précieux pour les associations qui œuvrent au retour des enfants. Aussi, l’annonce mi-mars de la fermeture de cette unité de recherche par le département d’efficacité gouvernementale (Doge) d’Elon Musk laisse-t-elle mal augurer de la suite.
[Marie-Nadine Eltchaninoff