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Luc Broussy : « Nous vieillirons ensemble ! »


Pour Luc Broussy, les 80 propositions de son rapport « Nous vieillirons ensemble » sont à prendre. Pas à laisser ! Luc Broussy présente son dernier rapport.

Vous n’en êtes pas à votre premier rapport ! Quelle est son ambition ?

Luc Broussy. Ce rapport a été remis à Brigitte Bourguignon, ministre déléguée en charge de l’Autonomie, Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires, et Emmanuelle Wargon, ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du logement.

C’est un appel à comprendre les conséquences des évolutions démographiques en cours, à cesser de repousser la question, à agir sereinement quand il en est encore temps : bref, un appel à prévenir plutôt qu’à réparer.

Quelles vont être les évolutions démographiques marquantes dans la société française ?

Nous savons parfaitement combien de personnes âgées vivront dans notre pays dans 10, 20 ou 50 ans car la personne qui atteindra 85 ans en 2050… est déjà née aujourd’hui ! D’ici là, le nombre des plus de 85 ans aura triplé. Ils seront 4,8 millions d’individus. Un changement démographique majeur qu’aucune grande loi n’est encore venue embrasser dans sa globalité, alors que le système de prise en charge des personnes âgées montre des signes de fatigue.

La problématique du vieillissement se réduit-elle à l’âge ?

La question de la « vieillesse » couvre désormais, de 60 à 105 ans, presque la moitié d’une vie. Il faut donc, à mon sens, distinguer, au sein de cette vaste catégorie, trois ensembles : le senior qui n’a aucun problème de santé et qui vit sa vie sereinement ; le senior qui commence à connaître quelques fragilités qui n’obèrent pas sa vie sociale mais qui nécessite des adaptations ; enfin, le senior qui se trouve en situation de perte d’autonomie.

Or, dans la décennie qui s’ouvre, soit entre 2020 et 2030, nous allons assister à une explosion des 75-84 ans (+ 47 %), lesquels vont passer de 4 à 6 millions. Dans la même période, le nombre de 85 ans et plus va stagner avant d’exploser à son tour après 2030. Ce sont justement les 75-84 ans qui ont à gérer ces fragilités émergentes : abandon de la conduite automobile, veuvage, chute à domicile, insécurité du quotidien…

Il ne faut pas non plus sous-estimer un facteur sociologique : les vieux de demain seront issus de cette génération post-soixante-huitarde qui a été biberonnée par les valeurs de liberté et d’autonomie et qui voudra changer la vieillesse comme elle a changé la société. Ces babyboomers vont vouloir maîtriser leur vieillissement et seront pour cela prêts à anticiper et à prévenir.

Au quotidien, comment cela se traduit-il ?

Il faut souligner en premier lieu ce drame de santé publique qui consiste à déplorer chaque année plus de 9 000 morts d’accidents domestiques chez les plus de 65 ans. Presque trois fois plus que les morts sur la route. À la différence près qu’ici, aucune politique de prévention n’a été mise en place. Et comme 75 % des seniors sont propriétaires de leur logement, il est désormais impératif d’engager une vaste politique publique d’adaptation des logements, d’où ma proposition de créer un guichet unique intitulé #MaPrimeAdapt.

Il existe aussi un vrai défi pour les bailleurs sociaux quand on sait qu’à terme, 50 % des locataires du parc HLM auront plus de 60 ans mais que 40 % des logements ne sont pas accessibles par ascenseur. Enfin, et c’est peut-être là l’essentiel, il va falloir comprendre que bien vieillir « chez soi » pourra conduire à changer de « chez soi », pour un domicile plus adapté. Au fil du temps, les baby-boomers privilégieront l’usage à la propriété, la résidence service seniors en cœur de ville plutôt que le pavillon en périurbain.

Quelles évolutions s’imposent autour de la ville et des communes ?

Un logement adapté est nécessaire mais pas suffisant, encore faut-il, lorsqu’on franchit le seuil de sa porte, que la ville et l’espace urbain soient bienveillants et accessibles. La présence de bancs, de toilettes publiques, de passages piétons sécurisés, d’arrêts de bus adaptés, d’une voirie prévenante : autant de critères que les maires doivent désormais avoir à l’esprit.

Mais la ville doit aussi réaffirmer et encourager le lien social. Les Petits frères des pauvres estiment que 300 000 personnes âgées sont en situation d’isolement social total. Or c’est au niveau d’une ville, d’un quartier que peuvent se repérer ces situations de fragilités et d’isolement.

Pour éviter les assignations à résidence, on a besoin aussi, dans nos villes, de mobilités adaptées aux seniors. Cependant le divorce est réel aujourd’hui entre les seniors et les transports publics (zones desservies, horaires, fréquences, billettique, conduite parfois brutale, en tout cas inadaptée, des chauffeurs de bus…). On a besoin aussi de lutter contre l’illectronisme des seniors tant le numérique va désormais prendre une place majeure dans nos vies et dans notre façon de maintenir des liens sociaux.

Vous identifiez un troisième niveau d’intervention : le territoire…

On ne vieillira pas de la même façon en fonction du lieu dans lequel on vit : centre-ville, périurbain, semi-rural. Il faut donc que nos politiques publiques s’adaptent à la spécificité de chaque territoire.

Certains territoires vont connaître une brutale accélération de leur taux de vieillissement, soit de la part des personnes âgées sur la population totale. Ce sera dans les 30 prochaines années le cas de départements comme la Creuse, la Corrèze et plus encore de la Martinique ou de la Guadeloupe. D’autres territoires demeureront parmi les plus jeunes mais compteront une très forte progression, non pas du taux, mais du nombre de personnes âgées. En gros, la Creuse aura une très forte proportion de personnes âgées, mais c’est à Nantes ou à Lille qu’il conviendra de construire le plus d’Ehpad…

Qui porte la parole des aînés aujourd’hui ?

C’est bien le problème : les seniors ne constituent pas, comme on le fait croire parfois, un lobby puissant. Tout simplement parce que la voix des retraités est aujourd’hui très fragmentée entre de trop nombreuses organisations. Mais je témoigne, c’est vrai que la CFDT Retraités compte parmi les organisations les plus impliquées et implantées dans les territoires sur la question de l’âge. Je pense aussi à des associations d’un type nouveau comme OldUp ou l’association Grey Pride, qui est née pour souligner la spécificité des seniors LGBT mais qui aujourd’hui porte un regard bien plus global et générationnel. Les retraités aussi vont devoir repenser leur mode de représentation pour peser et être utile.

Propos recueillis par Daniel Druesne

Qui est Luc Broussy ?

« Intellectuellement, je me suis toujours senti proche de la CFDT. Né dans le Val-d’Oise, j’y ai été adjoint au maire de Goussainville, vice-président du conseil départemental ou encore député-suppléant », indique Luc Broussy, qui, par ailleurs, a fondé en 1997 le groupe EHPA Presse & Conseil qui édite Le Mensuel des Maisons de Retraite. Il est l’auteur de deux rapports interministériels : l’un rendu en 2013 sur l’adaptation de la société française au vieillissement, l’autre, « Nous vieillirons ensemble », rendu en mai dernier au gouvernement actuel.

Luc Broussy a présenté, aux retraités CFDT du Val-d’Oise, son dernier rapport lors de « Form Inform » le 19 octobre 2021.
Daniel Druesne