Médias : le CESE tire la sonnette d’alarme 5/5
Thierry Cadart, membre du CESE au titre de la CFDT, rapporteur de l’avis « Agir pour une information fiable, indépendante et pluraliste au service de la démocratie », répond aux questions de Fil Bleu.
Sommaire du dossier
Fil Bleu : Dans quelle mesure la crise actuelle de l’information met-elle en péril la démocratie ?

Thierry Cadart. Il suffit de regarder les États-Unis. Les médias traditionnels n’ont rien pu faire pour freiner le parcours d’un candidat aux propos outranciers et au passé judiciaire plus que douteux. Ils ont été concurrencés par les réseaux sociaux et des médias tels que Fox News, tout acquis à Trump. Il y a seulement 20 ans, il n’aurait jamais été élu. Les États-Unis sont un laboratoire assez précis de ce qui nous attend. Nous avons en France un l’équivalent de Fox News avec CNews relayant les thèses d’extrême droite.
Nous voyons aussi se développer sur X (ex-Twitter) toute une panoplie de fake news et de propos haineux poussés par des algorithmes qui enferment les citoyens dans des bulles informationnelles. Les médias classiques ne sont pas épargnés, comme le montre la mise sous contrôle du JDD au service d’un milliardaire au projet politique réactionnaire assumé.
La récente annonce du rachat de l’école de journalisme ESJ Paris par le même Vincent Bolloré associé à d’autres milliardaires révèle une stratégie de maîtrise d’une chaîne complète de l’information liée à l’extrême droite. Il existe certes une loi anti-concentration, mais elle date de 1986 et doit être repensée en fonction du paysage médiatique actuel.
Le modèle économique des organes de presse est fragilisé. Que propose le CESE pour y remédier ?
Les gens sont de moins en moins prêts à payer pour accéder à l’information. L’information de qualité, produite par des professionnels qui vont sur le terrain et qui vérifient leurs informations, coûte cher. Le numérique a par ailleurs aspiré la manne publicitaire qui permettait aux journaux de vivre. Pour renforcer l’indépendance économique des titres de presse, nous pourrions leur attribuer une partie de la taxe sur le numérique. La presse quotidienne régionale, actuellement en grande difficulté, pourrait en bénéficier. De nombreux titres régionaux disparaissent. Ce phénomène doit nous alerter car il est directement lié à une hausse de l’abstention, ce que montrent des études menées aux États-Unis.
Pour garantir l’indépendance de l’information, faut-il mieux protéger le métier de journaliste ?
Sans aucun doute. La profession est aujourd’hui en proie à un vrai malaise, 40 % des jeunes journalistes quittent le métier au bout de 7 ans. Les journalistes doivent avoir un droit de veto sur la nomination des directeurs de rédaction, c’est le cas au quotidien Le Monde.
Nous proposons de généraliser l’adoption de chartes de déontologie, et d’accorder une protection aux représentants des sociétés de journalistes (SDJ). La loi Bloche de 2016, qui va dans ce sens, doit être renforcée.
Comment limiter la nocivité des réseaux sociaux ?
Développer le pseudonymat permettrait de responsabiliser les personnes qui s’expriment sur les réseaux sociaux. La Cnil pourrait être dépositaire de leur déclaration d’identité. Ensuite nous devons imposer l’idée de responsabilité éditoriale des plateformes, c’est un sujet à l’ordre du jour au niveau européen, mais nous sommes encore trop timides sur cette question.
La liberté d’expression ne peut réellement s’exercer que si elle s’accompagne de régulation.
Propos recueillis par Marie-Nadine Eltchaninoff
Pour en savoir plus
- Le rapport « Agir pour une information fiable, indépendante et pluraliste au service de la démocratie » sur le site du CESE.
- Consultation sur l’état de bien-être des journalistes en France sur le site des États généraux de l’information.