Témoignage sur des souvenirs de Mai 68
Mes souvenirs de Mai 68 sont ceux d’un jeune d’à peine 14 ans...
Sommaire du dossier
– Mai 68 et la CFDT
– La grande grève de Mai 68
– Aux origines de Mai 68
– 1968 ou l’année de tous les possibles en France et en Europe
– Témoignage de Geo Goubier
– Cinq faits influencent Mai 68
– Le Constat de Grenelle
– « La CFDT a su faire le lien entre la lutte des étudiants et celle menée dans les entreprises »
– Témoignage sur des souvenirs de Mai 68
– Témoignage sur l’esprit de Mai 68
Extraits d’un courrier suite à l’appel à témoignages.
(…) Mes souvenirs de Mai 68 sont ceux d’un jeune d’à peine 14 ans qui se rappelle le beau temps printanier de ces moments-là, de la surprise qu’ont été ces semaines déscolarisées entre les vacances de Pâques et celles d’été. J’ai joué au foot plus que de raison, matin et soir avec les copains. Pour autant, bien que mes souvenirs des évènements soient parcellaires, je me rappelle de l’incongru de ces moments.
Je crois que mon père a peu fait grève dans sa vie mais il l’était bel et bien ce mois-là. Il partait à des moments inhabituels, parfois la nuit « tenir le piquet de grève » aux usines CHAUSSON à Gennevilliers. En outre, alors que nous ne mangions jamais à la cantine, nous y avons été régulièrement durant cette période : la mairie communiste d’Argenteuil ouvrait largement son service de restauration aux enfants de travailleurs en grève.
Nous habitions, un quartier ouvrier pavillonnaire, préservé des stigmates du mouvement mais je me rappelle cependant d’une virée en vélo avec mon père vers Bezons. À l’approche de la rue Henry Barbusse, nous sommes passés devant des bâtiments qui présentaient toutes les caractéristiques de l’usine occupée. (banderoles, piquet de grève…). Je ne savais pas à l’époque qu’il s’agissait des usines Dassault.
J’en fus très impressionné, c’est de cet évènement là et de ce contexte exceptionnel que débuta l’apprentissage de ma conscience politique. La décennie qui a suivi ce tourbillon révolutionnaire a été largement imprégnée de ces idéaux de liberté et d’expérimentation.
Je me suis toujours considéré, avec fierté, comme un post soixante-huitard
En ce qui concerne ma génération, le mouvement social et culturel était en phase avec cette période de la vie, la jeunesse, où tout apparait possible. D’avoir été jeune et enthousiasme durant cette période marque très profondément. Ainsi, je me suis toujours considéré, avec fierté, comme un post soixante-huitard. La volonté de prendre le contrepied de mes études techniques, non vraiment choisies, pour investir une carrière éducative prend sens dans ce cadre…
La particularité de ce « joli mois de mai » fut l’alliance assez réussie dans la contestation, des étudiants (les études supérieures ne concernaient que 7 à 8 % de la classe d’âge des 18-24 ans en 1968) issus des classes moyennes et supérieures et du monde ouvrier.
La finalité du travail est remise en cause. Il faut dire que la besogne est harassante dans les usines : les semaines dépassent parfois 45 heures. Les cadences du taylorisme, alors à son apogée sur les chaines de fabrication, sont critiquées.
S’exprime aussi la volonté d’abolir les hiérarchies et le fractionnement du travail, porté parfois par un discours révolutionnaire de réappropriation des moyens de production. Après ces semaines d’ébullitions insensées et malgré la reprise en main gaulliste, un nouveau monde, ou plutôt une nouvelle façon de voir le monde émerge…
Derrière l’idée de liberté, quelques grandes aspirations demeurent
La question écologique émerge : critique des produits standardisés et de l’emballement des modes de production agricoles intensifs. Premières alertes sur la destruction du monde vivant. Refus du nucléaire civil comme mode de production d’énergie insensé. Mouvement de retour à la terre, quitter les villes pour investir un monde rural en voie de désertification…
Derrière l’idée de liberté affichée sur les murs parisiens en ce mois de mai 68, quelques grandes aspirations demeurent. Ainsi, les femmes, dans la dénonciation actuelle des harcèlements et violences à leur encontre, montrent pour leur part, un chemin possible et salutaire. Ici et dans d’autres domaines, quelques élans nouveaux nous emportent dans un mouvement qui remet l’humain et le partage égalitaire des biens communs au centre des projets et des aspirations. Que l’inventaire permis par ce cinquantenaire de l’insurrection impulse le désir d’inventer à nouveau.
Didier Leduc