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"Nouveau pacte pour la migration" : une proposition équilibrée à approfondir !


La Commission européenne propose un nouveau pacte sur la migration et l'asile qui englobe l'ensemble des différents éléments nécessaires à une approche européenne globale de la migration. La CFDT Retraités a recueilli l’éclairage de Jérôme Vignon.

À l’occasion de la publication du « nouveau Pacte sur la migration et l’asile » de l’Union Européenne, Jean-Pierre Bobichon, pour la CFDT Retraités, a interviewé Jérôme Vignon, ancien haut-fonctionnaire de la Commission européenne, conseiller à l’Institut Jacques Delors.

Que pensez-vous de la communication sur la migration de la Commission européenne ?

Jérôme Vignon : Pendant longtemps la question de la libre circulation intérieure des travailleurs au sein de l’UE a été l’unique préoccupation, laissant aux Etat membres la responsabilité quasi exclusive de réguler, en pratique de restreindre, les migrations en provenance des pays tiers. L’afflux exceptionnel de migrants, notamment du fait de la crise syrienne en 2015 a brutalement révélé que les migrations extérieures étaient un sujet d’intérêt commun. En même temps elle soulignait la grave défaillance de la solidarité des Etats membres avec les pays de première entrée. La crise de l’asile qui en est résulté et dont la catastrophe du camp de Moria fut l’expression cache une autre réalité, celle du besoin d’une immigration de travail qui pour l’instant prend essentiellement la forme d’une immigration irrégulière. Le nouveau Pacte publié par la Commission est un pas très important dans la voie de l’instauration d’une solidarité entre les Etats membres pour la prise en charge des réfugiés. Il en faudra d’autres pour réguler dans un cadre européen de l’immigration légale de travail.

Quels sont les approches de ce nouveau pacte, inédit, pour les migrations et les droits d’asile ?

Pour résoudre la crise de l’asile, la Commission propose un mécanisme subtil de solidarité obligatoire mais flexible. La solidarité est obligatoire en ce sens que tous doivent partager, en cas de pression, la charge de l’accueil qui pèse sur les pays de première entrée, ou qui résulte d’un sauvetage en mer. Mais elle est flexible, offrant trois manières de s’acquitter de la solidarité : la prise en charge des candidats à l’asile, l’aide au retour s’ils ont été déboutés ou même une aide en ressources administratives pour appuyer les capacités du pays de premier accueil.
La Commission compte aussi sur le renforcement des procédures d’identification et de sélection à l’entrée des migrants en situation irrégulière. La recevabilité des demandes d’asile serait décidée beaucoup plus rapidement, songeons qu’à Moria les exilés pouvaient attende plusieurs années pour un rendez-vous), permettant une mise en œuvre plus effective des retours.
Autre novation, l’instauration d’une gouvernance de l’immigration pour temps de crise dont le pilotage serait confié à la Commission européenne. Le dispositif de crise actuellement en vigueur, et l’on imagine bien que de nouvelles crises pourraient surgir, n’a jamais fonctionné, nécessitant un accord consensuel des Etats pour son déclenchement.

Que pense l’Institut Jacques Delors de cette démarche de la Commission ?

Il fallait absolument sortir de l’impasse actuelle et nous avons salué le principe même du Pacte et ses avancées : solidarité, européanisation de la gestion des crises, amélioration des droits pour les personnes s’étant vu reconnaître le statut de réfugié. Cependant la Commission a choisi de rechercher le consensus des 27 Etats membres, et cela entraine des mécanismes extrêmement complexes avec deux inconvénients : le temps qui sera nécessaire à les adopter ; les risques de défaillance dans la mise en œuvre, au détriment du respect de droits fondamentaux des personnes migrantes. L’Institut Jacques Delors avait pour ces raisons opté pour une géométrie variable fondée sur l’accord d’un groupe d’Etats pionniers acceptant d’aller de l’avant, d’une manière simple, pour la mise en œuvre de la solidarité.

Comment impliquer la société civile et les mouvements syndicaux ?

Le pacte est aujourd’hui sous tendu par une vision très défensive de l’accès à l’Union européenne. Ce faisant il se prive d’une relation efficace avec les pays d’origine qui eux, ont besoin de cet accès pour de multiples raison, comme les pays européens ont aussi besoin d’une main d’œuvre pas nécessairement très qualifiée. La société civile et le mouvement syndical ont un rôle à jouer pour situer ces échanges migratoires car il s’agit d’échanges, beaucoup d’Européens étant eux-mêmes expatriés dans une perspective de développement à long terme, et en tenant compte des nouveaux visages de la mobilité internationale.

Ce pacte est un compromis, comment le faire vivre et en tenir compte dans les politiques européennes ?

Dans la mise en œuvre des directives et règlements qui constituent l’Espace européen commun de l’asile, l’essentiel est une affaire d’exécution et de qualité dans les relations humaines : avec les migrants, entre les administrations nationales et territoriales avec les populations d’accueil. Il faudra que le suivi comporte une grande dose de coopération intra européenne, en vue d’un transfert d’expérience et de bonnes pratiques. Je pense par exemple à la capacité que certaines autorités espagnoles ont eue pour assurer une représentation des Etrangers accueillis sur leur sol ou au rôle des Länder allemand pour l’instruction de l’asile et la mise en œuvre de l’intégration.

La CE place-t-elle la barre suffisamment haute pour protéger les européens du racisme et de la xénophobie ?

La Commission est ici prisonnière du Conseil des ministres JAI, c’est-à-dire les Ministres de l’intérieur. Ceux-ci sont naturellement conservateurs et sensibles au besoin de « protection » des populations nationales, y compris les plus modestes. De surcroit, ils ne sont guère porter à coopérer avec les Ministres sociaux ou ceux des Affaires étrangères, et réciproquement d’ailleurs. De là découle la vision défensive. IL faut cependant à l’Europe qu’elle entre dans le 21e siècle, c’est-à-dire qu’elle prenne conscience du lien de solidarité qui la lie aux pays de la Méditerranée et du Sud, sachant que ces pays vont entrer eux-mêmes dans nouvelle phase de leur développement. Il faut donc un pendant démographique à l’interdépendance environnementale dont nous prenons maintenant conscience.

Ne pourrait-on pas fixer l’objectif 2021 pour une gouvernance européenne migratoire ?

D’une certaine façon, le défi migratoire, défi hautement politique, vient nous rappeler que pour l’Union européenne, le temps de la vision est revenu. Mais ce serait déjà un bon premier pas si le Pacte migratoire pouvait être adopté, sans être défiguré, d’ici la fin de 2021. Si ce n’était pas le cas l’hypothèse de la géométrie variable de l’Institut Jacques Delors ne pourrait pas être écartée.

Pour aller plus loin

Un nouveau pacte sur la migration et l’asile sur le site de la Commission Européenne

« Nouveau pacte pour la migration : une proposition équilibrée à approfondir » par Jérôme Vignon, Conseiller de l’IJD et Jean-Louis De Brouwer, Directeur du Programme « Affaires européennes », Institut Egmont, sur le site de l’Institut Jacques Delors

Jérôme Vignon invité du Congrès de la CFDT Retraités en 2019