Pour une fédération européenne d’États-nations
La vision de Jacques Delors est revisitée… dans un ouvrage intéressant en cette période européenne troublée (1). Gaëtane Ricard-Nihoul qui en est l'auteure est l'ancienne secrétaire générale de l'association « Notre Europe » (2). Fonctionnaire européen, elle est Docteur en politique européenne de l'Université d'Oxford.
Quel est l’objet de cet ouvrage en pleine turbulence européenne ?
L’Union européenne et la zone euro sont confrontées à une crise d’une ampleur sans précédent. Celle-ci a montré qu’il était urgent de redonner du sens au projet européen. Mais elle a aussi mis au grand jour autant l’étroitesse des réponses nationales, que la nécessité de construire une Union qui s’appuie sur la diversité des États-nations, et les consolide dans un monde globalisé.
J’ai voulu remettre au goût du jour la vision que Jacques Delors a proposé au milieu des années 1990, celle d’une Fédération européenne d’États-nations. Il est possible de renforcer l’efficacité et la légitimité de l’action collective européenne tout en encourageant la diversité culturelle et en utilisant pleinement la richesse de la diversité des sensibilités nationales. Différemment du modèle américain.
Dans cette nouvelle gouvernance européenne, quelle place au couple franco-allemand ?
C’est une coopération essentielle parce qu’elle rappelle justement le sens de l’action européenne qui puise sa force de l’incroyable dépassement de conflits fratricides par une forme d’intégration économique et institutionnelle. Elle est aussi une sorte de laboratoire de la construction européenne.
Elle permet de tester des compromis, de faire des avancées qui peuvent ensuite faire tâche d’huile. Elle doit cependant rester ouverte aux autres États membres, y compris les petits, et se développer en harmonie avec le travail des institutions européennes.
La croissance est-elle un objectif pouvant être atteint dans l’Union européenne ?
L’Union européenne est plus que jamais un outil indispensable pour renouer avec une forme de croissance durable en Europe. A l’heure où tous les États membres sont contraints à la rigueur, son action, qui se fonde sur un budget tourné vers les investissements et permettant une mutualisation des efforts, est indispensable.
D’autres outils comme les euro-obligations visant à financer de grands projets d’infrastructures communes peuvent aussi être des leviers intéressants. Mais l’Union européenne, c’est bien plus que des budgets mobilisables. C’est aussi une stratégie commune de développement puisant dans le vivier incroyable que pourrait représenter l’économie verte, et fondée sur les forces du modèle social européen.
Quel est l’avenir de l’euro ?
L’euro est devenu aujourd’hui un lien très fort entre les 17 États membres qui ont d’ailleurs compris qu’une responsabilité et une solidarité particulières les unissaient. En témoigne, par exemple, la taxe sur les transactions financières qu’ils seraient peut-être prêts à adopter sans le Royaume-Uni.
Mais, comme Jacques Delors l’a répété inlassablement pendant les quinze dernières années, l’UEM doit marcher sur ses deux jambes, monétaire et économique. Il reste encore pas mal d’étapes importantes pour consolider le volet économique. La crise a permis de faire en quelques années des choses qui paraissaient impossibles il y a cinq ans. Il faut poursuivre sur cet élan.
Quelle pourrait être la place des citoyens dans une Fédération européenne d’États-nations ?
Les citoyens sont un maillon essentiel. Le renforcement de la démocratie en Europe naîtra d’une meilleure synergie entre les niveaux européens et nationaux. Elle ne pourra exister sans protéger et encourager la diversité culturelle. Il faudra trouver des voies nouvelles pour consolider la démocratie représentative tout en faisant une place à la démocratie participative, avec au premier rang le retour d’un véritable dialogue social européen.
Propos recueillis par Jean-Pierre Bobichon
(1) Editions Larcier : www.larcier.com
(2) www.notre-europe.eu