Quand la CFDT Nord-Pas-de-Calais se mobilisait pour Solidarnosc
Il y a quarante ans, le 13 décembre 1981, l’état de guerre instauré en Pologne par le général Jaruzelski renvoie Solidarnosc à la clandestinité. Répondant à l’appel de la CFDT, la CFDT Nord-Pas-de-Calais se mobilise pour venir en aide aux syndicalistes polonais et à leurs familles. Entretien avec Jean-Pierre Stobiecki, ancien secrétaire régional.
La CFDT Nord-Pas-de-Calais s’engage très rapidement quand l’état de guerre est proclamé en Pologne. Comment expliques-tu cela ?
Tout d’abord, nous sommes à la CFDT ! Nous sommes attachés à la démocratie et aux libertés, au pluralisme et à l’indépendance. La CFDT avait soutenu Solidarnosc dès sa création. De surcroît, la présence d’une importante population d’origine polonaise a motivé notre mobilisation. Nos adhérents ont agi d’autant plus volontairement que beaucoup d’entre eux étaient originaires de Pologne et avaient des liens familiaux dans leur pays d’origine. Invité par la Confédération, Lech Walesa avait demandé à rencontrer des immigrés polonais et c’est pendant son séjour dans la région qu’il a appris la prise de pouvoir par le général Jaruzelski.
Comment s’est traduite la mobilisation de la CFDT régionale ?
Nous avons organisé de nombreuses manifestations dès le 15 décembre et des rassemblements devant le consulat de Pologne à Lille, Arras, Béthune… Encouragée par la Confédération, l’intervention de l’Union régionale, des Unions départementales, des syndicats et des sections a répondu en premier lieu aux besoins les plus urgents en direction des familles des militants emprisonnés, puis l’aide en matériels divers aux équipes syndicales. Nous avons maintenu des contacts avec les militants dans la clandestinité.
Julien Delaby, secrétaire général, et Jean-Marie Toulisse, secrétaire général adjoint, ont reçu des représentants du syndicat. Dès lors, la CFDT a été perçue par les Polonais comme l’un des maillons les plus importants de ce mouvement de solidarité.
Beaucoup de militants se sont impliqués dans les convois à destination de la Silésie…
La Confédération nous a orientés vers la région de Katowice. La Silésie avec ses mines et ses grosses usines métallurgiques ressemblait en bien des points à la région Nord-Pas-de-Calais. Une région de vieille tradition ouvrière, un des principaux foyers, avec Gdansk, de la révolte populaire et de la création de Solidarnosc. Au lendemain de l’état de guerre, c’est en Silésie que se produisent des révoltes et des grèves, vite réprimées. Les militants CFDT s’y sont trouvés à l’aise.
À plusieurs reprises, des camions sont partis de Lille, Valenciennes, Maubeuge, Dunkerque… Nous n’avons jamais eu besoin de chercher des chauffeurs, ils se sont présentés d’eux-mêmes. Les militants trouvaient des véhicules à prêter dans les entreprises. Nous avions des interprètes, des militants et des épouses d’origine polonaise capables d’accompagner les convois et de traduire. L’arrivée des premiers convois de l’Union régionale a été vécue comme « un petit miracle ». Au départ, nous étions en rapport avec les comités diocésains, seule possibilité pour distribuer l’aide humanitaire. Sur place, nous étions surveillés, mais tant qu’il s’agissait d’une aide humanitaire, le régime ne pouvait s’y opposer tant la situation économique était dramatique.
C’était plus compliqué pour les syndicalistes polonais. Il ne faisait pas bon d’être repéré avec l’un d’entre nous. Lors d’un de ces voyages, une jeune femme a lancé en français : « Dites-leur que j’espère que l’été sera nôtre. » Allusion au slogan de Solidarno ??, « L’hiver est à vous, l’été sera à nous ». En 2010, le comité de Silésie a remis à l’Union régionale la médaille du syndicat, une distinction rare qui souligne l’impact de notre action.
Propos recueillis par Jean-Pierre Druelle