Questions à Albert Détraz du groupe Reconstruction
Albert Détraz a été notamment secrétaire général de la fédération CFTC bois-bâtiment (FNCB aujourd’hui) dans les années 45 à64. Membre du bureau confédéral CFTC, Albert sera un acteur principal du groupe « Reconstruction », qui joua un grand rôle pour l’évolution de notre organisation.
« Reconstruction » n’était pas une structure d’opposition, plutôt un groupe de réflexion et d’information. Peux-tu préciser ?
Albert : La publication appelée Reconstruction a été à l’origine un modeste bulletin polycopié créé en 1945 par quatre responsables de l’époque : Fernand Hennebicq du gaz-électricité, Charles Savouillan de la métallurgie, Paul Vignaux et François Henry de l’Éducation nationale. Ils se réunissent pour étudier et s’informer sur les grandes questions économiques et sociales qui se posent en France et dans le monde après la terrible épreuve de guerre. Ceci me conduit à bien préciser que Reconstruction n’a jamais été la revue de la minorité de la CFTC, même si une certaine confusion a pu exister. Son lectorat était plus large que la sphère minoritaire.
Vignaux, l’intellectuel, le « boss », comme vous le surnommiez, revenait des États-Unis. Avait-il puisé son inspiration dans le syndicalisme pratiqué là-bas ?
Albert : Non seulement Paul connaissait bien le syndicalisme des USA, particulièrement de l’industrie automobile et de la sidérurgie, mais aussi le mouvement syndical international, notamment anglais, italien, allemand, espagnol. À ce sujet il nous avait raconté l’histoire de la grande grève des mineurs des Asturies.
L’entrée à la CFTC de jeunes militants désireux d’agir dans le domaine syndical ne s’est pas réalisée sans réserves ni interrogations. Seule l’espérance d’un grand dessein pouvait donner un sens à leur action. Paul Vignaux va le leur faire entrevoir et l’inscrire dans ce qui deviendra la grande aventure de l’évolution. En bref, situer un syndicalisme d’origine confessionnelle dans la tradition syndicale française, en évitant toute déviation vers une forme totalitaire ou une quelconque subordination à un parti politique.
Comment cette minorité a-t-elle pris corps ?
Albert : Au départ, il n’y a pas de structure, mais de jeunes militants qui se cherchent, quelquefois accompagnés par des anciens d’avant-guerre qui assurent ainsi un lien avec le passé. Certains ont déjà des postes importants dans les fédérations et les UD. Ils vont très vite se rencontrer à l’occasion de réunions confédérales et, surtout, de congrès nationaux.
De cette situation va naître une minorité, d’abord inorganisée, puis coordonnée par des contacts fréquents entre les militants de ce que l’on pourrait appeler une « tendance ». Elle était plutôt d’esprit libertaire et n’a jamais été organisée.
Ainsi a-t-on vu apparaître des concepts nouveaux dans la vie syndicale tels que le socialisme démocratique, la planification démocratique, la recherche d’une nouvelle approche des relations des syndicats avec les partis politiques, la définition des conditions d’une efficace unité d’action avec la CGT, pour ne citer que les grands thèmes dont on se souvient encore.
On peut dire que la minorité CFTC a été active pendant toute cette période. En 13 ans, de 1945 à 1958, elle est devenue majoritaire. Et en novembre 64 réussit l’évolution tant souhaitée. La suite est une autre histoire.
Propos recueillis par Georges Goubier
Pour en savoir plus
Ouvrages historiques
– Histoire du mouvement ouvrier et des centrales syndicales en France, Marcel Gonin, Confédération, 113 pages, non daté.
– De la CFTC à la CFDT, syndicalisme et socialisme-reconstruction 1946-1972, Paul Vignaux, postface Edmond Maire, Éditions ouvrières, 212 pages, 1980.
– Histoire de la CFDT, Michel Branciard, éditions La Découverte, 363 pages, 1990.Biographies
– Eugène Descamps, chrétien et syndicaliste, Frank Georgi, éditions de l’Atelier, 383 pages, 1997.
– Edmond Maire, une histoire de la CFDT, Jean-Michel Helvig, éditions du Seuil, 600 pages, 2013.
– Nicole Notat : l’archange de la CFDT, Philippe Flandrin, éditions du Félin, 220 pages, 1997.
– Une vie ouvrière, Christine Belsoeur (sur Yvonne Delemotte), éditions L’Harmattan, 269 pages, 2011.La CFDT par elle-même
– CFDT pour un socialisme démocratique, Edmond Maire, éditions Epi, 166 pages, 1971.
– La CFDT, éditions du Seuil, 184 pages, 1971.
– La CFDT d’aujourd’hui, Edmond Maire, Jacques Julliard, 204 pages, 1975.
– Demain l’autogestion, Edmond Maire, éditions Seghers, 156 pages, 1976.
– Qu’est-ce que la CFDT ?, François Chérèque, L’information citoyenne, 125 pages, 2002.Livres sur la CFDT
– La CFDT des militants, Michel Schifres, éditions Stock, 255 pages, 1972.
– La deuxième gauche, histoire intellectuelle et politique de la CFDT, Hervé Hamon, Patrick Rotman, éditions Ramsay, 445 pages, 1982.
– La CFDT en questions, Gallimard NRF, 246 pages, 1984.Livres de dirigeants CFDT
– Militer : une vie pour un engagement collectif, Eugène Descamps, éditions Fayard, 266 pages, 1971.
– Les sociétés multinationales : pouvoirs et contre-pouvoirs, Eugène et Bernard Descamps, éditions Chronique Sociale, 164 pages, 1985.
– Syndicaliste en liberté, Gilbert Declercq, éditions du Seuil, 188 pages, 1974.
– CFDT au cœur, Fredo Krumnow, éditions Syros, 191 pages, 1976.