Qui sont les grands patrons en France ?
Qui sont les grands patrons des grandes entreprises françaises ? D'où tiennent-ils leur pouvoir ? De leur famille ? De l'État ? Quelle a été leur formation ? Jean-Pierre Moussy a lu pour nous une étude sur eux parue récemment.
Un livre récent étudie les grands patrons - présidents de directoire, de conseils d’administration et de surveillance, directeurs généraux et gérants de sociétés en commandite par actions - soit un total de 136 patrons représentant 65 sociétés cotées.
L’étude se propose de répondre aux questions suivantes : qui sont les grands patrons ? D’où viennent-ils ? Comment sont-ils parvenus à la tête des entreprises qu’ils dirigent ? Forment-ils un milieu social cohérent, animé de logiques propres ou ne sont-ils qu’un agrégat d’individualités se heurtant et s’alliant au gré des ambitions et des circonstances ?
Le mérite du livre est aussi de situer l’étude de cette catégorie sociale dans le cadre de l’évolution générale du contexte socio-économique.
Évolution générale du contexte socio-économique
Le capitalisme est alors présenté comme « un système économique, un type d’organisation sociale où le travail et l’enrichissement personnel par des moyens pacifiques sont socialement valorisés ». L’accent est mis tant sur le processus à l’œuvre de concentration que sur le mouvement conjoint de privatisation de la monnaie et des élites administratives.
Pour les grands patrons, les privatisations ont joué un « rôle fondateur et irremplaçable » car elles traduisent une transformation du lien hiérarchique entre le monde économique et le monde politique. Le mouvement de retrait économique de l’Etat ayant été – paradoxalement - porté par ceux-là mêmes qui étaient à sa tête.
Les auteurs insistent particulièrement sur cet aspect lorsqu’ils indiquent : « la haute élite administrative a su saisir une opportunité historique au travers des privatisations pour se maintenir en tant qu’élite et survivre au déclin de la puissance publique qui fondait autrefois son statut et son pouvoir. Mais pour cela, elle a dû abandonner certaines valeurs et en épouser d’autres » (comme « la création de valeur pour l’actionnaire »).
Pour caractériser plus encore le contexte économique, l’ouvrage insiste - à juste titre - au-delà des privatisations sur l’autonomie croissante de la sphère financière, l’internationalisation, la financiarisation et le phénomène général de libéralisation.
Les caractéristiques des grands patrons
Reprenons maintenant quelques caractéristiques des grands patrons soulevées dans le livre.
D’abord la typologie : les auteurs reprennent une typologie établie par Bauer et Berton-Mourot (1997) qui distingue trois catégories :
– le type « familial » : fondé sur le lien patrimonial nommé ici « famille propriétaire » ;
– le type « Etat » : regroupe les détenteurs d’une autorité légitime de type étatique à savoir les membres des grands corps d’Etat : Conseil d’État, Cour des comptes, Mines, Ponts, Télécoms) ;
– le type « carrière en entreprise » : conféré d’abord par le monde de l’entreprise.
A ces trois catégories les auteurs en ajoutent une quatrième, correspondant aux évolutions observées dans les années 2000, l’essor des « dirigeants étrangers ».
Le tableau 1 résume la répartition des patrons par typologie.
Tableau 1. Types des n°1 des 40 premières capitalisations boursières
Type de n°1 | 2002 | 2008 |
Type Famille propriétaire | 15% | 20% |
Type État | 46% | 43% |
Type Carrière en entreprise | 34% | 28% |
Type Étranger | 5% | 10% |
Deuxième caractéristique étudiée, la formation initiale. Le tableau 2 est éclairant : sur 113 patrons français 87 sont issus du système des grandes écoles soit 77% de la population : c’est Polytechnique qui se taille la part du lion (31 anciens élèves) suivie de l’ENA (22), IEP (21), HEC (20) et les Mines (11).
Tableau 2. Origines scolaires des patrons du CAC 40
Période étudiée 2002- 2008. Patrons répertoriés : 113.
Origines scolaires | Total |
Polytechnique | 30 |
ENA | 23 |
Sciences-Po | 21 |
HEC | 20 |
Université (Economie) | 15 |
Université (Droit) | 15 |
Mines | 11 |
Université - Doctorat | 8 |
Ingénieur | 7 |
Université | 7 |
Ecole de Commerce | 6 |
Université - Harvard | 5 |
Ponts | 5 |
INSEAD | 5 |
Centrale | 4 |
ENS | 4 |
Comptabilité | 3 |
Pas d’études supérieures | 3 |
Université - Agrégation | 3 |
SUPELEC | 3 |
Ingénieur – ESTP | 2 |
Université (Sciences Politiques) | 2 |
Université (Science) | 2 |
Université – Dauphine | 2 |
Ingénieur – ENSPM | 2 |
Ingénieur – ENSAM | 2 |
Université – MIT | 2 |
Université (Ingénierie) | 2 |
Université - Stanford | 2 |
ENST | 2 |
ESCP | 2 |
Aéronautique | 1 |
Université (Lettres) | 1 |
Université – Oxford | 1 |
Université – Cambridge | 1 |
Ingénieur - ENSA | 1 |
Autre caractéristique étudiée, l’internationalisation (voir tableau 3). Les patrons étrangers représentent 18% de la population patronale considérée. Les européens dominent très nettement la population des étrangers (21 sur 23) : l’Allemagne, la Belgique et l’Italie arrivant en tête.
Tableau 3. Nationalité des patrons du CAC40
Période étudiée 2002- 2008. Patrons répertoriés : 136.
Nationalité | Nombre | Pourcentage |
France | 112 | 82,3% |
France - États-Unis d’Amérique | 1 | 0,7% |
Sous-total France | 113 | 83% |
Allemagne | 5 | 3,7% |
Allemagne-Canada | 1 | 0,7% |
Italie | 4 | 2,9% |
Belgique | 4 | 2,9% |
Royaume-Uni | 2 | 1,5% |
Pays-Bas | 2 | 1,5% |
Luxembourg | 2 | 1,5% |
Espagne | 1 | 0,7% |
Sous-total Europe (hors France) | 21 | 15,4% |
Inde | 1 | 0,7% |
États-Unis d’Amérique | 1 | 0,7% |
Sous-total étranger | 23 | 17% |
TOTAL | 136 | 100% |
Pour l’heure cette internationalisation est plus l’expression de rapprochements capitalistiques transnationaux, notamment européens, plus que l’affirmation d’une ouverture massive aux patrons étrangers.
Enfin, quelle est la place des femmes dans le CAC40 ? Comme on pouvait s’y attendre, sans vraiment trop de surprises, elles sont très, très minoritaires dans les instances dirigeantes. Ainsi sur les 978 membres des conseils - entre 2002 et 2007 - seules 84 sont des femmes (8,6%). Plus grave, les deux auteurs précisent encore qu’une bonne partie d’entre elles sont des représentants des salariés (26) ou de l’État (8) !
La gouvernance des entreprises en questions
Ce livre comporte bien d’autres informations intéressantes parmi lesquelles une dizaine de notices biographiques, la relation de diverses restructurations financières (les échecs comme les réussites), l’organisation des réseaux dans le cadre du CAC40 (réseaux entendus comme le portefeuille de relations qu’entretiennent les grands patrons avec leurs homologues soit dans le cadre de présences réciproques dans divers CA, soit encore par le biais d’associations professionnelles ), etc.
Pour aller plus loin que cette note de lecture le mieux est donc de se reporter directement à ce livre intéressant qui concerne une population dominante et de plus en plus controversée.
Ce livre est d’autant plus utile - qu’avec la crise dont on sait désormais qu’elle sera « durable » - un regain d’intérêt existe aujourd’hui sur la question de la « gouvernance des entreprises ».
Jean-Pierre Moussy
François-Xavier Dudouet et Eric Grémont, Les grands patrons en France : du capitalisme d’État à la financiarisation.
– Éditions Lignes de repères, Avril 2010, 174 pages, 18€.
– François-Xavier Dudouet, chercheur au CNRS et enseignant à Paris-Dauphine, est spécialiste des élites économiques et de la gouvernance d’entreprises. Eric Grémont, économiste, est président de l’OpesC (Observatoire politico-économique des structures du capitalisme).