Un fichier inquiétant
En matière de sécurité, « Big Brother » n’est jamais très loin. C’est en tout cas l’opinion de nombreux représentants de la société civile mais aussi des politiques de tout bord qui s’élèvent contre la publication du décret sur les Titres électroniques sécurisés (TES). Plus de sécurité collective justifie-t-il plus de risque pour les libertés individuelles ? Le débat est loin d’être tranché et pourrait donner lieu à des rebondissements.
Le Journal officiel du 30 octobre a publié un décret décidant que dorénavant nos données personnelles et biométriques seront rassemblées dans un fichier unique dès lors que nous serons détenteurs d’une carte d’identité et d’un passeport, alors que jusqu’à maintenant, ces documents étaient répertoriés dans deux fichiers séparés, ou sous forme papier. Ainsi toutes les informations, adresse physique et numérique, mais également votre photo, vos empreintes digitales, la couleur de vos yeux qui figurent sur ces documents, seront reprises dans ce fichier. L’objectif poursuivi par le gouvernement et les services concernés, est de permettre et renforcer la lutte contre les contrefaçons et le vol de pièces d’identité.
Ce décret était prévu par une loi votée en 2012 avant l’élection présidentielle ; loi qui avait été en partie censurée par le Conseil constitutionnel qui avait interdit qu’elle permette, à l’aide de ce fichier, l’identification des personnes. Selon Bernard Cazeneuve, ancien ministre de l’Intérieur, le décret « ne comporte aucune fonctionnalité d’identification d’une personne à partir de ses seules données biométriques ». Faisons-lui en crédit ; mais un autre gouvernement ne serait-il pas tenté d’en modifier le contenu et de revenir sur cette position ?
À ce premier risque s’ajoute celui, disent ses détracteurs, du piratage de ce document. Plus le fichier est gros, plus il serait facile de s’y introduire. Et plus il est gros, plus il y aurait matière à s’y introduire. Toujours selon le nouveau Premier ministre, tout citoyen pourra s’opposer au transfert dans le fichier de ses empreintes digitales qui seront conservées sous forme papier comme auparavant.
L’usage de fichiers complexes : entre facilités et atteintes aux libertés
Les réponses du gouvernement sont loin de convaincre les adversaires du fichier, d’autant plus que le décret l’instaurant a été publié sans concertation parlementaire préalable, ce qui devrait être évident pour un sujet aussi sensible. Le gouvernement s’est résolu à en débattre, sans vote, devant le Parlement, mais ne semble pas avoir totalement convaincu. D’autant plus qu’aux défenseurs des droits de l’homme et des libertés individuelles sont venues s’ajouter les réticences de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) ou celles de du Conseil national du numérique. D’autres instances doivent donner un avis, comme l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information. Le nouveau Premier ministre a promis au Parlement une totale transparence. Que fera le gouvernement en cas d’avis négatif, mais consultatif, de cette dernière instance ?
Si l’on peut comprendre le souhait de simplifier le travail des fonctionnaires qui ont à consulter ces données dans le cadre des vols ou falsification de documents d’identité, il n’en demeure pas moins que les réticences voire le refus de tous ceux qui craignent un usage liberticide du fichier sont à considérer.
Jean-Pierre Delhoménie