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Un rapport de France Stratégie sur « quelle France dans 10 ans ? »


Élaboré pendant un an, le rapport du Commissariat général à la stratégie sur l’avenir de la France est remis fin juin. Piloté par Jean Pisani-Ferry, ce rapport pose d’abord un diagnostic avant de développer des propositions pour préparer la France à relever les défis actuels et futurs. Résumé.

Un récent rapport du Commissariat général à la stratégie et la prospective (ou France Stratégie) porte sur « la France dans dix ans ? » C’est le fruit d’un dialogue avec les autorités publiques du pays et la « société civile ». En juillet 2013 le président de la République demande au commissaire général Jean Pisani-Ferry d’introduire un séminaire gouvernemental consacré à la France à l’horizon de 10 ans (19 août 2013).

Puis, au cours du dernier trimestre 2013, sur la base de travaux préparatoires, se tient une phase de consultations, d’échanges, de débats associant les partenaires sociaux, des associations de la société civile, des think tanks [groupe d’experts], des élus nationaux et territoriaux, des experts français et étrangers. Ces débats ont « réuni plus de 2 000 personnes et ont permis à plus de 700 participants de faire valoir leurs analyses et propositions ». Le rapport final, préparé entre août 2013 et mai 2014, est remis au président de la République le 23 juin 2014.

1. Les trois avantages du rapport

Tel ou tel pourra ne pas être d’accord avec une ou plusieurs propositions de ce rapport il reste qu’il présente à nos yeux au moins trois avantages :
 projeter l’avenir de notre pays sur le moyen terme ce qui permet d’affirmer son identité et ses potentialités ;
 fixer des objectifs diversifiés, a priori atteignables qui (re)donnent du sens à l’action publique et aux acteurs économiques et sociaux ;
 utiliser la méthode de la concertation ce qui permet plus facilement de partager des diagnostics.
Cet article présente une synthèse de ce rapport.

2. Les quatre points clé du diagnostic

Le rapport se présente en quatre parties (et quatorze chapitres) : dans 10 ans ; ce qui nous entrave ; nos objectifs à dix ans ; un chemin.
Les deux premières parties sont consacrées au diagnostic. Voici les points clés du raisonnement proposé :
 des évolutions démographiques importantes : en 2025 le monde comptera plus de 8 milliards d’habitants ; l’UE actuelle compte 520 millions d’habitants, la France 68 millions, soit respectivement 6,5% et 0,8% de la population mondiale ;
 les mutations techniques comportent trois enjeux : l’économique (une croissance du PIB par tête ralentie dans les pays avancés) ; la sécurité des systèmes et de stockage des données ; la dimension démocratique : l’interconnexion des acteurs organise des espaces d’information et de débat ;
 les mutations géopolitiques : à la fin de l’année 2014 la Chine sera devenue la première économie du monde (mais sera encore pauvre sur le plan du revenu par tête) : l’ordre international s’en trouve bouleversé ;
 l’action collective est à la peine et le cadre multilatéral est affaibli au regard des défis majeurs que sont : le réchauffement climatique, le terrorisme, la diminution des ressources halieutiques, l’instabilité financière, les trafics de toutes sortes ;
 l’Europe apparaît, pour la première fois depuis le traité de Rome comme un facteur d’incertitude plutôt que comme un facteur de stabilité et de progrès ; les Européens ne partagent pas la même vision des priorités pour l’avenir de la zone euro ; la perspective d’un référendum sur le maintien de l’adhésion ou non du Royaume-Uni au sein de l’UE affaiblit celle-ci tout ceci tandis que se multiplie des conflits régionaux dans lesquels la voie de l’Europe est faible : Libye, Egypte, Syrie, au Mali et dernièrement au Moyen Orient et en Ukraine ce qui devrait conduire à redéfinir les relations entre l’UE et la Russie.

Appartenir au premier tiers pour la confiance dans autrui (des pays de l’OCDE)

3. « Devenir un des pays du monde où on vit le mieux »

Malgré toutes ces difficultés et incertitudes le rapport nous indique qu’il est possible et souhaitable de réformer le pays car :
 plusieurs pays sur une longue période sont parvenus à des réformes positives et de citer : la Suède, le Canada, l’Allemagne ;
 la croissance est utile mais elle ne constitue pas un but en soi et, de reprendre à son compte les conclusions de la commission « Stiglitz, Sen, Fitoussi » (2009) qui privilégie « le bien-être des citoyens » ou encore les indicateurs des agences de l’ONU comme l’IDH (indice de développement humain) et l’IRI (indice de richesse inclusive) ou encore « l’indice du vivre mieux » de l’OCDE.

Le rapport propose à son tour de regarder plus précisément l’évolution de sept indicateurs significatifs de la qualité de la croissance : le stock d’actifs incorporels et physiques de l’économie française ; les compétences ; la répartition du revenu ; l’empreinte carbone de l’économie française ; la proportion artificialisée du territoire ; la dette publique des administrations publiques ; l’actif extérieur net de la nation. L’objectif déclaré est de « devenir un des pays du monde où on vit le mieux ».

Dans cette perspective le rapport propose de :
 revenir dans le premier tiers des pays européens pour l’emploi ;
 construire une démocratie de la confiance appuyée sur un État entreprenant et économe ;
 redevenir un grand pays d’innovation et de rejoindre le groupe des leaders européens : Suisse, Suède, Danemark, Allemagne, Finlande.

Le rapport s’interroge cependant : « Trop peu ou trop de réformes ? »
Cette interrogation s’appuie sur le fait qu’il y a eu pas moins de cinq réformes des retraites en 20 ans (1993, 2003, 2008, 2010, 2013), trois réformes de la formation professionnelle (2004, 2009, 2013) sans parler des réformes quasi-continues de la fiscalité et de l’assurance maladie. Le rapport conclue que la « stratégie des petits pas » comporte des limites. Il affirme alors qu’il convient de mettre en œuvre une méthode qui « dépasse l’alternative d’une circonspection paralysante et un radicalisme oublieux des exigences de la démocratie politique et sociale ».

Se situer dans le premier tiers pour le taux d’emploi (des pays de l’UE)

4. Les cinq dilemmes de la société française

Le document fait alors part de cinq dilemmes qui traversent la société française (et qui c’est vrai ne sont pas simples à surmonter) :
 quel ciment pour vivre ensemble ? Alors que la société s’est diversifiée, complexifiée et que la défiance envers les institutions s’est installée ;
 avons-nous encore les moyens de notre modèle social ? D’ailleurs de quel modèle social parlons-nous ? Au « sens étroit » : la protection sociale et l’ensemble des prestations sous conditions de ressources ou au « sens large » y compris la politique du logement, la réglementation de l’emploi et du marché du travail, la formation ?
 faut-il renoncer à la croissance ou repenser la croissance ? Sachant de plus que depuis six ans la croissance moyenne de l’économie française a été de 0,3% ce qui n’a évidemment pas manqué d’entamer le consensus français sur la croissance ;
 une économie abritée ou une économie connectée ? Dans un contexte marqué par une forte désindustrialisation et une dégradation des positions françaises dans l’échange international ;
 avec ou sans l’Europe ? Alors que notre pays a été à l’initiative des étapes décisives de l’intégration européenne, il doute désormais de sa capacité à infléchir le cours des évènements. Cette insatisfaction est largement d’ordre économique, mais elle résulte également des révisions institutionnelles inachevées successives (traités d’Amsterdam, de Nice et de Lisbonne). Cette insatisfaction, note aussi le rapport, résulte également de nos propres contradictions : très allants sur la demande d’une plus grande gouvernance économique mais pas vraiment favorables à ce que la Commission dispose de pouvoirs effectifs.

Même si dans ces cinq dilemmes la réponse se trouve pour ainsi dire dans les questions ce passage du rapport n’en demeure pas moins au plan de l’analyse tout à fait intéressant.

5. Les quatre priorités du chemin à suivre

La troisième partie du rapport permet de rentrer dans le concret. Elle est consacrée à identifier les huit objectifs à atteindre d’ici à 10 ans. À chaque fois, sont proposés des indicateurs assortis de résultats à atteindre (voir en encadré un récapitulatif de ces objectifs).

Les huit objectifs du rapport de France Stratégie

Objectif Indicateurs / Propositions
1. Une démocratie de la confiance - Atteindre aux élections législatives un taux de participation de 70% (participation moyenne enregistrée entre 1981 et 1993 mais de 57% en 2012).
 Augmenter dans la dépense locale la part des intercommunalités à 50% en 2025 (soit un triplement).
 Augmenter la part des Français engagés dans une activité bénévole : de 37% en 2010 à 50% dans les 10 ans.
2. Une égalité républicaine effective - Faire baisser le taux ressenti des discriminations pour être dans le 1er tiers des pays européens.
 Multiplier par deux la proportion des métiers mixtes (17% aujourd’hui).
 Diviser par trois le nombre des « décrocheurs » qui sortent chaque année du système scolaire (140 000 actuellement).
 Diviser par deux l’illettrisme chez les adultes (en France métropolitaine environ 2,5 millions de personnes âgées de 18 à 65 ans étaient en situation d’illettrisme en 2011) .
3. Un État entreprenant et économe - Ouvrir les postes pourvus en Conseil des ministres à des non-fonctionnaires.
 Améliorer (à 80%) le taux de satisfaction pour les usagers des services publics.
 Permettre à 90% des citoyens d’utiliser Internet dans leurs relations avec l’administration.
4. Un développement responsable - Ramener la dette publique à 75% du PIB (elle est à plus de 95% en 2014).
 Ramener les dépenses publiques primaires (donc hors intérêts de la dette) à 48,8% du PIB (54,8% en 2013 soit 12 points de plus qu’en Allemagne).
 Réduire les émissions de gaz à effet de serre de 30%
 Plafonner le rythme d’artificialisation du territoire.
5. Une société décloisonnée et ouverte sur le monde - Faire émerger une dizaine d’universités pluridisciplinaires de classe mondiale.
 Deux fois plus de jeunes séjournant à l’étranger dans le cadre de leurs études (20% contre 10% aujourd’hui).
 Accueillir 200 000 étudiants de plus venant étudier en France (270 000 aujourd’hui).
 Accroître la satisfaction des salariés sur leurs conditions de travail (la France se situe actuellement au 20e rang sur 27 pays de l’UE).
6. Une économie de mouvement - 50% de PME innovantes.
 2% du PIB en recherche/développement pour les entreprises (actuellement 1,4%).
 1 000 entreprises de taille intermédiaire supplémentaires.
 30 000 entreprises exportatrices de plus.
 Un taux d’ouverture (soit la somme des exportations et des importations divisée par le PIB) porté à 75% (il est actuellement de 57% - inférieur à celui de l’Espagne, de l’Italie, du Royaume-Uni et de l’Allemagne).
 Augmenter d’un tiers le volume des recettes touristiques.
7. Un modèle social lisible et inclusif - Doubler le taux de transition annuel des contrats courts vers un emploi stable.
 Réduire à moins de 20% le non-recours aux prestations sociales (le non-recours pour le RSA activité est estimé à 70%).
 Réduire de 30% le prix des logements (en euros constants).
8. Une Europe force d’entrainement - Réduire de moitié la dispersion des taux de chômage (qui vont de 5% Allemagne/Autiche à 28% Grèce).
 Faire converger les conditions de financement qui prévalent dans les pays de la zone euro.

La quatrième partie du rapport s’intitule « Un chemin ». Elle s’intéresse à la stratégie à mettre en œuvre et à la façon de séquencer les diverses initiatives. Auparavant elle identifie quatre types d’approches possibles :
 commencer par les actions à caractère critique ;
 engager, en premier lieu, les actions à caractère générique c’est-à-dire celles qui, par leurs effets d’entraînement, vont créer les conditions du succès dans d’autres domaines ;
 prendre d’abord les mesures à longue portée qui mettront le plus de temps à exercer leurs effets ;
 démarrer par des réformes de consensus, les plus acceptables et dont les effets sont les plus immédiatement perceptibles.
Entre ces différentes approches le rapport ne choisit pas ou plutôt il considère qu’il conviendra de panacher et d’agir sur tous les fronts à la fois. Il note que pour avancer il faudra opérer un changement profond des comportements et une mobilisation dans la durée de tous les acteurs.

Les trois modèles de la zone euro

Compte tenu de la crise aigüe au sein de la zone euro, l’approche proposée ici nous a paru particulièrement intéressante. Nous la reproduisons.

SolidaritéDisciplineGouvernance Légitimité
Modèle fédéral Transferts et assistance conditionnelle financés par budget fédéral Règles budgétaires et macroéconomiques (existantes) Exécutif zone euro (Commission européenne) Union politique avec contrôle par un parlement zone euro
Modèle de coopération institutionnalisée Mécanisme gradué de soutien (mutualisation des émissions, conditionnalité par paliers, jusqu’à assistance conditionnelle) Règles budgétaires et macroéconomiques plus possibilité de veto ex-ante [préalable] sur budgets nationaux Exécutif zone euro responsable de la coordination (diverses formules possibles) Contrôle par un organe parlementaire émanant des parlements nationaux
Modèle décentralisé Pas de solidarité spécifique à la zone euro Maxima pour l’exposition des banques aux États Règles de faillite pour les États Pas d’instance parlementaire spécifique

6. Un rapport bienvenu à s’approprier malgré quelques réserves

Voilà donc synthétisé du mieux possible un rapport épais qui peut susciter des débats et c’est bien ainsi. Même si certains aspects nous paraissent insuffisamment signalés ou pris en compte tels que :
 la panne du multilatéralisme (et la négociation TTIP en cours) ;
 la tendance marquée de certains États à vouloir imposer leurs règles : l’extra-territorialité du droit américain ou la tendance de la Cour suprême en Allemagne de placer parfois sous tutelle le droit européen ;
 l’insuffisante hiérarchisation - à notre sens - d’un certain nombre de préconisations ;
 des propositions ou mal venues ou insuffisamment précisées ; parmi celles-ci : l’aménagement des seuils sociaux (page 142) ou le recours à la titrisation (page 144).
Malgré ces réserves ce rapport nous semble bienvenu par :
 l’horizon à 10 ans ;
 l’effort de diagnostic partagé sur les « handicaps » et les « atouts » de notre pays ;
 les propositions et indicateurs qu’il propose.
Il faut donc souhaiter que le plus grand nombre d’acteurs s’approprient ce document afin de le faire vivre et que l’avenir de notre « beau pays » soit regardé avec un entrain retrouvé.

Jean-Pierre Moussy

En savoir plus

L’ensemble des documents : rapport général, annexes, rapports thématiques, contributions sont accessibles et disponibles sur le site du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (ou France Stratégie) : www.strategie.gouv.fr ; le rapport complet est également publié chez Fayard : « La France dans 10 ans » (358 pages – juin 2014). France Stratégie présente aussi un web documentaire : www.francedans10ans.fr