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Afghanistan, le pays du désespoir


Alain Mingam, ancien grand reporter, a couvert de nombreux terrains de guerre et notamment l’Afghanistan. Il a accepté de répondre aux questions de Fil Bleu sur la condition des femmes dans ce pays.

Gérard Uféras

Fil Bleu : Quelle est la situation actuelle pour les femmes en Afghanistan ?

Nous sommes au douzième mois de la guerre en Ukraine sous l’effet d’un « poutinisme » qui veut dramatiquement renouveler stalinisme et communisme. Une résurgence tragique aux multiples conséquences. Une des plus signifiantes est celle d’un Afghanistan scandaleusement livré, clés en main et armes en prime, aux talibans le 15 août dernier. Revenus au pouvoir, ils n’ont de cesse de faire des femmes et jeunes filles les premières victimes d’un retour aux sources d’une théocratie sans concession aucune.

L’une urgence médiatique qui donne la priorité absolue, fruit d’une certaine logique ontologique, déontologique même, aux reportages qui, de Moscou à Kiev ou Odessa, remet toujours en quelque sorte au second plan l’actualité qui sévit à Kabul.

Le pouvoir taliban peut ainsi mener jusqu’au bout sa volonté d’obliger, au nom d’un islamisme exacerbé, les femmes à suivre un retour aux sources religieuses, d’un renoncement à toute vie sociale, économique, éducative élémentaire. Les promesses du début n’ont jamais été suivies d’effet, y compris le droit de travailler et d’étudier, d’accéder aux écoles primaires comme aux universités. Les talibans ont systématiquement exclu les femmes et les filles de la vie publique.

Pourquoi le droit à l’éducation pour les filles et les femmes est-il si violemment réprimé ?

Comme le souligne Siddiq Barmak, producteur du film Osama, l’histoire se répète, celle de centaines de petites Osama qui sont obligées de se vêtir en garçon pour aller mendier dans la rue, afin de subvenir aux besoins de la famille. Elles vivent une exclusion totale, qui est la pire des répressions depuis le temps des libertés chèrement acquises lors de la chute des talibans en 2005.

Les raisons sont multiples avec de flagrantes corrélations tant politiques que religieuses, voire ancestrales, dans la haine toujours manifeste entre Pachtounes sunnites et Hazaras chiites. Comme l’a démontré Claire Billet, ancienne correspondante à Kabul pour Arte et France 24, dans un documentaire* sur les raisons de cette persécution. La plupart des dirigeants actuels sont ultra-conservateurs, très proches des milieux ruraux, ils prennent une certaine revanche sur le monde urbain dans la continuité des directives données à l’époque par le mollah Omar, chef des talibans.

À l’intérieur de son gouvernement est créé, plus qu’un symbole, le ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice, qui aujourd’hui a remplacé le ministère des Affaires féminines.

Jusqu’où les talibans iront-ils ?

Il ne faut pas exclure une bataille de clans en interne, notamment avec le clan Haqqani, plus à même de prôner une relative et infime tolérance en autorisant le personnel médical féminin à exercer. Et ce, après la décision d’interdire la participation des femmes afghanes ou étrangères aux ONG, incontournables face au désastre humanitaire et économique ambiant. D’une totale gravité qui explique la vente des petites filles par des mères ou des pères effondrés de n’avoir plus que cette inimaginable solution de survie.

L’ultime crédit des talibans repose sur une paix d’ensemble rétablie notamment hors les villes. Mais à l’égard de la population féminine, soumise à la double peine de leur prison physique que sont la burqa et l’interdiction de quitter le domicile sans un « watt » ou homme de la famille, toutes ces mesures ubuesques contrarient déjà, sinon excluent tout espoir de solution indispensable pour mettre fin à cette guerre de genre « intra-muros » à l’Afghanistan. Il faut tout faire pour que jamais ne sévisse un silence assourdissant.

Propos recueillis par Corinne Grincourt

* Afghanistan, Le Prix de la paix

Alain Mingam

Rédacteur en chef de l’agence Gamma de 1985 à 1993.
Directeur de la rédaction de l’agence Sygma de 1993 à 1997.
Vice-président de Reporters sans Frontières de 2013 à 2015.