La guerre des terres
Crise alimentaire, course aux matières premières, extension urbaine et industrielle incitent les firmes de l'agro business à investir massivement dans le foncier. Des milliers de paysans sont ainsi délogés et privés de leur unique source de subsistance.
Ces dix dernières années, au moins 203 millions d’hectares, soit près de 4 fois la taille de la France métropolitaine, auraient fait l’objet d’accaparements à travers la planète. Un phénomène inquiétant qui prend une ampleur phénoménale.
En Europe comme aux États-Unis, les politiques de soutien aux agrocarburants constituent l’un des principaux moteurs de l’accaparement des terres dans les pays en développement. Les terrains sont acquis par des entreprises ou des États, notamment pour y produire des agrocarburants (à partir de maïs, de blé, de palme, de colza, de tournesol…).
À défaut les cultures sont engagées pour la production de denrées alimentaires d’exportation. Dans les deux cas, le modèle de production mis en place est de type industriel et intensif, au détriment d’une agriculture paysanne et vivrière.
Ces terres censées être « inutilisées » ou « sous-exploitées » au moment de leur vente sont en réalité occupées par des familles pauvres qui y font pousser de quoi se nourrir. Bien souvent, ces familles sont expulsées. Les promesses de compensation ne se matérialisent pas. Et fréquemment, les habitants sont chassés violemment par des hommes de main.
Sous couvert d’investissement dans l’agriculture, de nombreux acteurs publics ou privés accaparent terres et sources d’eau. Pourtant, de nombreux investissements entraînent la dépossession, la tromperie, la violation des droits de l’Homme et la destruction de moyens de subsistance. Tout l’inverse du développement. De manière générale, la communauté internationale n’a que faiblement réagi à cette vague dévastatrice de spoliation des terres.
Contraignantes ou pas
Selon l’Agence internationale de l’énergie, la production d’agrocarburants a augmenté de 625 % entre 2000 et 2010 et la tendance ne va pas s’inverser. D’après l’International Land Coalition, près de deux tiers des accaparements de terre dans le monde sont destinés à leur production.
En mai 2012, le Comité pour la sécurité alimentaire (CSA) seul organe des Nations unies à traiter de façon légitime les enjeux de sécurité alimentaire, a adopté les « directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale ». Ce texte constitue désormais une norme internationale de référence qui permet d’évaluer les politiques, projets et investissements agricoles, publics ou privés, au regard de leur impact sur les populations locales.
Toutes ces directives restent « volontaires ». Elles ne sont pas contraignantes et ne permette pas de sanctionner ou d’interdire des accaparements de terre. Il serait totalement irréaliste de miser sur la seule bonne volonté du secteur privé pour appliquer ces directives. Pour les Organisations non gouvernementales (ONG), c’est à la société civile de s’assurer que ces directives soient respectées, et de pousser les États à adapter ces règles dans leurs législations nationales.
Guy Gouyet
Pour en savoir plus
Promesses non tenues
Les acheteurs de « terres » promettent souvent monts et merveilles à ceux qu’ils délogent. Ainsi la multinationale Simedarby a promis aux Libériens un avenir durable en échange de l’acquisition de 311.000 hectares. Étaient prévus 57 villages avec logements, cliniques, centres de soins, lieux de culte… C’était en 2009.
Trois ans après : 10.000 hectares ont été défrichés et 15 000 personnes déplacées et un seul village en béton a commencé à sortir de terre, gardé par des forces de sécurité. La multinationale assure que ses engagements seront tenus… d’ici 2025.