La laïcité française en débat
Une très grande majorité de Français se revendique adepte de la laïcité inscrite dans la loi de séparation de l’Église et de l’État (1905) et dans la constitution (1946 et 1958). Mais trouver quelques idées fortes serait plus fécond que des propos nostalgiques. Comment la laïcité peut-elle constituer un facteur d’innovation ?
Pour beaucoup de Français, « laïcité » signifie la séparation de l’Église et de l’État, la neutralité de l’État, la pratique religieuse réservée à la sphère privée, la liberté de culte… Aujourd’hui, avec l’arrivée d’autres religions, la soi-disant montée des communautarismes, la confrontation avec d’autres modèles européens, prenons le temps de nous comprendre. Le livre de Jean Baubérot (1), peut nous y aider. L’auteur identifie :
La laïcité antireligieuse : certains pensent que laïcité veut dire antireligion. Certes il existe un courant antireligieux, mais il a toujours été minoritaire et non reconnu dans la loi de 1905, même si encore de nos jours, certains députés déclarent : « Je suis un vrai laïc, je n’ai pas été baptisé ». Voir dans cette optique, le hors-série de Charlie Hebdo de 2013. Une confusion similaire existe dans « la laïcité postchrétienne » de Michel Onfray. Cette « religion civile » tente de fonder « une société républicaine ».
La laïcité gallicane : elle penche vers une société civile où « la liberté de penser supplante la liberté de conscience ». Émile Combes en 1902 tente « d’inféoder l’Église à l’État ». Cette politique est issue de la politique religieuse des rois de France : le droit de l’État d’intervenir dans les affaires religieuses. Lors du vote de la loi 1905, l’amendement des gallicans sur l’interdiction de porter la soutane dans l’espace public est rejeté : « Chacun s’habille selon son bon plaisir, sans que la différence de vêtement induise l’appartenance à un camp ». Les laïcs gallicans s’opposent au droit de vote des femmes, trop influencées par le clergé selon eux. La question scolaire, l’idée de l’État enseignant, le professeur porteur d’universel, sont au cœur de ce conflit.
Troisième et quatrième types de laïcité : les laïcités séparatistes en 1905, fondatrices de la loi. Il s’agit de laïcités qui accordent une place privilégiée à la séparation de l’Église et de l’État et refusent une vision antireligieuse ou gallicane. La première défend une optique individualiste, la seconde une optique collective. La première génère une neutralité d’indifférence : les citoyens qui veulent pratiquer une religion peuvent le faire. La seconde, une « neutralité de respect » : L’État les reconnaît.
Les nouvelles laïcités : la laïcité ouverte chez Paul Ricœur et dans les MJC, pour mettre fin au dualisme scolaire, unifier les écoles privées sans les étatiser, une laïcité ouverte aux religions. Dans « La lettre aux catholiques de France », en 1996, les évêques appellent à l’inclusion des catholiques dans la laïcité. Le judaïsme demande une laïcité intelligente et insiste sur la liberté des pratiques. Le CFCM (Conseil français du culte musulman) publie en 2014 une « Convention citoyenne pour le vivre ensemble ».
La laïcité identitaire, ouvertement de droite : contre l’avis du Conseil d’État, en 1994, François Bayrou interdit le foulard à l’école. Premier pas vers la théorie de « la laïcité et la foi en Dieu » et la réhabilitation de l’autorité. Les « racines chrétiennes de la France » deviennent un élément culturel qui rejette l’islam (viande halal, repas à la cantine…).
Une laïcité concordataire : l’Alsace et la Moselle sont régies par un droit local différent de la France. La loi 1905 ne s’applique pas, tout comme pour les collectivités d’outre-mer.
De quoi éclairer et combattre réflexions sommaires, idées reçues, et paresses de la rumeur.
Danielle Rived
(1) Les 7 laïcités françaises, éditions de la Maison des sciences de l’homme, 12 euros.