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La vitesse, cette machine infernale


Tout va de plus en plus vite. Et malheur à ceux qui ne peuvent pas suivre le rythme. Dans sa critique sociale du temps, intitulée « Accélération », le philosophe et sociologue Hartmut Rosa décrit les mécanismes, les causes et les effets de la « modernité ».

Le processus d’accélération touche tous les domaines : la technologie, le rythme de vie, les relations sociales. Rien ne lui échappe. Dans tous les secteurs, le renouvellement des produits s’est considérablement accéléré. Certains sont mis sur le marché avant même d’avoir été finalisés. Les consommateurs en sont de véritables testeurs.
Les cycles de l’innovation (le temps qui s’écoule entre une découverte scientifique ou technique et son introduction sur le terrain) et les cycles de vie des produits ont été, dans certains secteurs, électronique notamment, accélérés au point que même les revendeurs sont incapables d’identifier le produit le plus récent.
Idem pour les médecins. Pour leurs ordonnances, ils ne peuvent plus faire appel à leur expérience mais doivent se fier aux informations fournies par l’industrie pharmaceutique, tant le nombre de soi-disant nouveaux traitements a augmenté.

Accélérer pour ne pas tomber

Le progrès technique était censé nous donner plus de temps libre. Le contraire se produit. Perdre du temps est devenu le plus grave des « péchés ». Plus que jamais, le temps c’est de l’argent.
Pour les employeurs, gagner du temps revient à maintenir ou améliorer les bénéfices. Ils y réussissent en accélérant la production et la circulation des biens, en faisant travailler ouvriers et employés plus vite, avec toutes les techniques de gestion par le stress qui vont avec. Désormais lorsqu’une entreprise ou une administration licencie, cela ne signifie pas qu’il y a moins de travail mais que ceux qui restent en auront plus à réaliser. Il y aura ainsi ceux qui sont surchargés de travail et ceux qui seront exclus du système d’accélération vers le chômage. Cependant ce n’est pas la surcharge de travail qui rend les gens malades ou dépressifs mais l’impression de devoir courir de plus en plus vite pour faire du sur place, juste pour ne pas tomber… du monde du travail.
À l’âge de l’accélération, nous assistons à l’usure et à la désuétude rapide des métiers, des familles, des programmes politiques, des personnes, de l’expérience, du savoir-faire…

La démocratie a du mal à suivre

Avant la grande industrie, le présent reliait au moins trois générations. Le monde ne changeait guère entre celui du grand-père et celui du petit-fils. Le premier pouvait transmettre son savoir-faire et ses valeurs au second à charge pour ce dernier de réaliser des innovations.
Dans la première moitié du XXe siècle, le présent s’est contracté à une seule génération. Le grand-père savait que ce que vivraient ses petits-enfants serait différent. Aujourd’hui, le monde change plusieurs fois en une seule génération. Le père n’a plus grand-chose à apprendre à ses enfants sur la vie familiale qui se recompose sans cesse, les métiers d’avenir, les nouvelles technologies… Un jeune ado spécialiste peut en remontrer à un expert à peine plus âgé que lui.
Dans ce contexte, la démocratie a du mal à suivre le rythme. Ce système de gouvernance qui demande du temps pour la réflexion, l’échange, la mesure du « pour » et du « contre » s’accorde mal avec cette accélération continue. La synthèse, l’articulation des intérêts collectifs et la recherche de la décision démocratique restent des processus extrêmement longs.
La machine s’emballe et nos sociétés sont en danger. Dans un monde qui se déshumanise, quel sens donner à notre vie et à la vie en général ? La réponse demande… du temps !

Guy Gouyet

En savoir plus

« Accélération », Hartmut Rosa. Éditions La Découverte, 480 pages, 27,50 €. Interviews dans Télérama et le Monde Magazine.