Marcel Moreau ou le combat permanent de l’émancipation
Avec les salariés agricoles, puis avec les résidents de l’établissement où il coule des jours tranquilles à Créon (Gironde), Marcel Moreau, 92 ans, reste mobilisé, toujours animé par la même flamme cédétiste.
1958, l’année de la révolte. Lors d’un banquet, le secrétaire général de la chambre d’agriculture annonce qu’il est prêt à lancer un service de formation en faveur des jeunes agriculteurs et des salariés agricoles. Pas question que ces derniers en bénéficient, rétorque un propriétaire. Une telle discrimination indigne Marcel Moreau. « Il y avait beaucoup de scandales alors », se souvient comme si c’était hier ce fils de métayers vendéens parti tenter sa chance dans le Sud ?Ouest.
L’esprit d’ouverture de la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) lui avait déjà tracé la voie. Il ne sera plus de ceux qui devaient dire « Monsieur notre maître » lors des visites du châtelain à la ferme. Il développe ses connaissances, tisse des liens, s’émancipe. Marcel Moreau crée deux associations dont la Maison Familiale Rurale de la Sauve à Capian, adhère à la CFTC, saisit très bien le changement de la déconfessionnalisation en 1965, apporte son concours aux isolés, sans jamais oublier le banquet de 1958.
À partir de 1969, et durant trois ans, Marcel Moreau participe à cinquante réunions en préfecture entre partenaires sociaux en vue de construire la convention collective départementale des quelque 22 000 salariés agricoles de la Gironde. Il ne ratera qu’une séance, pour un accident du travail.
Les châtelains ne s’en laissent pas compter. « Nous n’étions pas des bestiaux, quand même ! ». Au bout de trois ans de rencontres et de mobilisation, la convention collective est signée.
La reconnaissance, enfin, pour des salariés mal considérés, des efforts syndicaux payants. Et le sentiment du travail accompli pour le négociateur : « C’est la plus belle victoire de ma vie. Avant, les patrons faisaient ce qu’ils voulaient ».
« Je n’aime pas me mettre en avant »
Quitter l’école à l’âge de 12 ans ne l’empêchera pas de s’occuper efficacement des comptes de l’exploitation où il est employé. Il ne s’en absente que pour son activité syndicale. Parfois, il fallait ruser, inventer des prétextes quand le patron le demandait. Le militant cédétiste prend la présidence du syndicat départemental des salariés d’exploitation agricole, puis celle de la section agriculture du conseil des Prud’hommes de Bordeaux et rédige cent trente jugements en huit ans. « J’ai toujours voulu rendre service mais je n’aime pas me mettre en avant », explique ?t ?il à son ami Guy Rambaud, secrétaire de l’Union régionale des retraités, une ancienne connaissance qui lui rend régulièrement visite à la maison de retraite de Créon.
Après deux années de non-paiement de sa cotisation syndicale, Marcel Moreau « repique ». Père de sept enfants (dont deux décédés), grand ?père de treize petits ?enfants et de douze arrière ?petits-enfants, il dit tout devoir à sa seconde famille, le syndicat dont il continue à lire les publications.
Dans l’établissement où il coule des jours paisibles, le pensionnaire est encore mobilisé. La devise syndicale « réagir pour ne pas subir » le conduit à recueillir les doléances des autres occupants de ces lieux. Il se présente au conseil de la vie sociale (CVS) de l’établissement. Élu, il se voit confier la présidence. La directrice, avisée, l’a nommé au conseil d’administration, ce qui lui a permis « de retrouver des copains de la CFDT », se réjouit-il. Pourquoi s’arrêterait-il en si bon chemin ?
Richard Hecht