UNION CONFÉDÉRALE CFDT DES RETRAITÉS

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La CFDT et l’immigration


Dans son livre La Solidarité et ses limites – La CFDT et les travailleurs immigrés dans « les années 68 », issu de son mémoire de Master 2 d’histoire, récompensé par le Prix des archives CFDT, Cole Stangler retrace la manière dont la CFDT s’est emparée de la question immigrée dans la France des années 1960 et 1970.

S’appuyant sur des documents d’archives, il met en lumière le travail accompli à cette époque, notamment par l’Union départementale (UD) de Paris. Il évoque deux conflits, le mouvement des sans-papiers et la grève des foyers Sonacotra, ainsi que le rapport fait au 3e Congrès de l’UD de Paris en novembre 1974 par Angel Villaroya, militant CFDT et immigré espagnol, et Jean-Pierre Bobichon, tous les deux membres de la commission exécutive de l’UD.

Une occasion de revenir sur ces actions sur les thèmes de l’immigration et du racisme, dossiers phares de la CFDT Paris qui ont traversé toutes les mandatures jusqu’à aujourd’hui.

Selon ce rapport, une véritable activité dans ce domaine débute en 1971. A ? partir de cette année-là se développent un certain nombre de conflits de travailleurs immigrés, une prise de conscience « pratique » par les structures syndicales et une « prise de conscience par les immigrés du rôle du syndicat ».
En fait, la prise de conscience remonte à la guerre d’Algérie. Les relations avec les organisations algériennes présentes en France ont permis de comprendre que ces travailleurs, qui avaient un statut spécifique, se sont « retrouvés » immigrés après les accords d’Évian.

Par ailleurs, nombre de réfugiés politiques avaient fui les dictatures de leurs pays et étaient venus rejoindre « le pays de la liberté ». À cette époque, l’UD de Paris n’existait pas encore (elle a été créée en novembre 1968), mais les militants les plus sensibilisés étaient essentiellement parisiens.

Selon les périodes, et selon les problèmes, les actions portaient plus sur la lutte contre le racisme, ou sur la régularisation des sans-papiers. Mais la CFDT était toujours présente, parfois en soutien d’initiatives lancées par d’autres, parfois à l’origine de ces actions.

La Solidarité et ses limites. La CFDT et les travailleurs immigrés dans « les années 68 », préface de Frank Georgi, postface de Laurent Berger, L’Arbre bleu, « Le corps social », 2021, 282 pages, 23 euros.

Les premières restrictions au séjour sur le territoire

Sur l’immigration, ce seront les circulaires Marcellin-Fontanet de 1972 (le premier ministre de l’Intérieur et le second du Travail sous le gouvernement Chaban-Delmas) qui vont être à l’origine des premières mesures restrictives.

Avant 1972, en principe, le travailleur migrant devait être introduit en France par l’intermédiaire de l’Office national d’immigration, qui avait des missions de recrutement à l’étranger. Mais beaucoup arrivaient en France par d’autres biais et le laisser-faire était la règle. En dépit de la loi, inchangée depuis 1945, l’administration encourageait cette immigration dite spontanée et régularisait tous ceux qui le demandaient, qu’ils soient rentrés comme simple touristes ou clandestinement.

Or ces circulaires conditionnent la délivrance d’une carte de séjour a ? l’obtention d’un contrat de travail et d’un logement décent, ce qui, compte tenu des problèmes de logement existant en Île-de-France, relève de la gageure.

En novembre 1972 commencent les premières expulsions en application des circulaires et en réponse aux premières grèves de la faim pour obtenir un titre de séjour. Ces grèves de la faim ont concerné aussi bien des Algériens, des Africains, que des Turcs ou des Philippines. L’UD de Paris soutient ces grèves de la faim, mais n’en est pas à l’initiative, car elle n’est pas favorable à ce mode d’action. La Confédération CFDT entamera des négociations avec les ministères concernés, qui finiront par permettre la régularisation de quelques dizaines de milliers d’immigrés en juillet 1973.

La question des conditions de travail

Ces actions évoquées par Cole Stangler, dans son ouvrage, n’ont pas été les seules dans cette période, loin de là. D’autres actions concernaient les conditions de travail particulières que vivaient certains travailleurs immigrés et sont emblématiques de cette période. Par exemple, les travailleurs turcs des ateliers de confection du quartier du Sentier, ateliers eux-mêmes souvent clandestins. Ou la situation faite aux femmes philippines arrivées en France comme employées de maison, totalement isolées, et, dont certaines relevaient de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’esclavage moderne ».

Et les nettoyeurs du métro, conflits marquants liés aussi bien aux conditions de travail, notamment les risques d’électrocution à cause des rails sous tension électrique, qu’au racisme ambiant, et qui a provoqué aussi la prise de conscience des problèmes liés à la sous-traitance.

Difficile pour un militant d’une entreprise à statut de prendre en charge les travailleurs hors statut, difficile de faire comprendre à un étranger le fonctionnement d’un syndicat français, lui qui n’a comme référence que ce qui existe dans son pays d’origine, même chose pour le fonctionnement des administrations. Pas simple de prendre en charge une population immigrée, de même que ceux, français, venant des départements d’outre-mer dans un contexte de racisme latent ambiant.

Il a fallu mettre beaucoup de pédagogie y compris en direction de nos propres militants. Mais la CFDT a gagné quelques batailles importantes à cette époque, et continue de le faire, car elle reste attentive aux personnes en situation d’immigration, en Île-de-France peut-être plus qu’ailleurs.

[Michelle Aribaud et Jean-Pierre Bobichon

Des actions sur le logement des travailleurs immigrés

Sur les foyers Sonacotra, Afat, etc., l’action de la CFDT s’est portée sur les conditions de vie. Le nombre de travailleurs immigrés habitant les foyers dans la région parisienne est important. En 1968, un rapport de la préfecture de la Seine dénombre l’existence de 250 adresses de foyers dans la région, soit environ 57 000 lits. 60 % de la population résidente y serait étrangère, selon ce même rapport, venant le plus souvent de l’Afrique subsaharienne ou du Maghreb.
Des grèves des loyers se déclenchent dans les foyers Sonacotra. Les grévistes revendiquent tout d’abord une modification du taux de redevance ; ensuite, des changements du règlement intérieur et la création d’un statut de locataire. Ils appellent aussi a ? des négociations au niveau national, mais sans succès. l’Union régionale parisienne et l’Union départementale de Paris de la CFDT mobilisent leurs adhérents pour une grande manifestation en avril 1976, ou ? environ une dizaine de milliers de personnes défilent en soutien aux « Sonacotra ».