Réforme de l’assurance maladie : acte 2 ou intermède ?
Ce dossier développe successivement : Une partie CFDT : – pourquoi l'intérêt de la CFDT pour l'assurance maladie, – quels sont les axes de la position CFDT, – pourquoi c'est un syndicalisme d'engagement, Une partie sur le rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie : – origines du HCAAM, – synthèse de l'analyse CFDT, – les motifs de satisafaction, – et les lacunes ou insufisances. Une partie sur les autres concerations en cours Enfin l'inconnue, quelle sera la réforme ? (NDLR : inconnue lors de la rédaction de et article fin mars 2004)
La CFDT et l’Assurance Maladie
La CFDT a toujours porté un fort intérêt à l’Assurance Maladie car c’est un élément essentiel permettant d’aller vers plus d’égalité dans l’accès aux soins et c’est un chantier important où les acteurs sociaux peuvent mettre en œuvre leur capacité de gestion dans l’intérêt des usagers.
Sans remonter trop loin dans le temps, tous se souviennent des interventions et des actions de la CFDT dans ce domaine. Ce fut le cas à l’occasion de réformes importantes (par exemple lors des réformes Juppé en 1995) ou lorsque les gouvernements successifs ont modifié les cotisations et contributions ou les montants de prise en charge pour les remboursements. Ce fut aussi le cas à l’occasion des désignations des représentants des organisations syndicales dans les conseils d’administration de la Sécurité Sociale.
Mais la CFDT a su aussi mener des réflexions de fond sur les conditions d’une meilleure couverture maladie pour l’ensemble des salariés. Ainsi, récemment, au cours des années 2002 et 2003, la CFDT a précisé ses positions en tenant compte de l’évolution du contexte économique et social. Plusieurs textes ont été rédigés débouchant à la fois sur la résolution votée au congrès confédéral de Nantes en mai 2002 et sur un document faisant état en mai 2003 de la contribution de la CFDT pour une réforme de l’Assurance Maladie.
Les axes de la position CFDT
A partir d’une analyse des atouts du système actuel et de son apport à la cohésion sociale, mais aussi des carences et des insuffisances qu’il faut corriger pour en assurer l’amélioration, la CFDT articule sa position et ses revendications autour de trois axes :
– L’universalité de l’accès à des soins de qualité, ce qui suppose la possibilité pour tous d’avoir une couverture maladie de base et complémentaire, la correction des inégalités territoriales, la prise en charge d’un remboursement de tous les soins et produits nécessaires et utiles pour une meilleure santé, un système de santé plus cohérent (en particulier entre médecine de ville et hôpital.
– Un financement solidaire et socialisé permettant la stabilité et la pérennité de la protection sociale grâce à des contributions sur une base élargie et assurant à tous des droits identiques indépendants du niveau des contributions, du statut social du bénéficiaire,...Suivant la formule qui est la base de l’Assurance Maladie, chacun contribue en fonction de ses ressources et reçoit en fonction de ses besoins.
– Le choix d’une assurance sociale basée sur la solidarité et impliquant tous les partenaires (qu’ils soient sociaux ou professionnels, qu’ils représentent les collectivités ou les organismes complémentaires). Ce choix va à l’encontre de toute privatisation et de l’étatisation du système.
Un syndicalisme d’engagement
En effet, le syndicalisme tel que le conçoit la CFDT défend une vision intégrée (et non une vision juxtaposée) des intérêts des salariés et des retraités qui sont à la fois des cotisants, des assurés et des bénéficiaires. Ceci conduit la CFDT à revendiquer d’avoir une implication forte dans la gestion de la protection sociale ainsi que dans la mise en œuvre de l’accès aux droits et de son effectivité.
La CFDT a donc fait le choix d’un rôle renforcé des partenaires sociaux dans la gestion de la Sécurité Sociale et en particulier dans celle de l’Assurance Maladie afin de concrétiser l’autonomie et la capacité d’initiative de la société civile. Il s’agit d’un syndicalisme d’engagement et pas seulement d’opposition ou de représentation. Il s’agit d’un syndicalisme qui veut promouvoir une démocratie sociale qui complète la démocratie politique.
Ceci entraîne un partage des rôles entre l’Etat et une Sécurité Sociale gérée par les représentants des assurés. Cette conception s’oppose à la fois aux voies libérales proposées par certains mais aussi à la conception étatique où l’Etat est aux postes de commande, depuis l’élaboration jusqu’à la mise en œuvre et au contrôle.
Réforme : Acte 1 - le HCAAM
Sans oublier les trois rapports réalisés en 2002 et dont le plus connu est le rapport dit Chadelat, du nom de son auteur, il faut noter que la réforme est entrée dans une phase active en octobre 2003 lorsque le premier ministre a mis en place le Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM).
Sa composition faite de 53 personnes issues d’horizons divers (organisations syndicales dont 2 représentants CFDT, organisations patronales, professionnels de santé, milieu hospitalier, organismes de couverture maladie de base et complémentaires,....) illustre la complexité du dossier et traduit la volonté d’associer tous les acteurs à une réforme nécessaire.
Après plus de trois mois de travaux sous la responsabilité de M. Fragonard, le HCAAM a remis ses conclusions le 23 janvier 2004 sous la forme d’un volumineux rapport comprenant une synthèse et trois chapitres accompagnés de nombreuses annexes. Ainsi s’est terminé la phase 1 de la réforme qui avait pour but, selon la mission qui lui avait été confiée par le premier ministre, d’établir un diagnostic partagé sur l’évaluation du système d’Assurance Maladie, sur la situation financière et ses perspectives, sur la nécessité de veiller à la cohésion sociale par un égal accès aux soins et un financement juste et équitable.
Ce rapport a recueilli le consensus de tous les participants, ce qui est important à noter, même si, peu de temps après, certaines organisations syndicales ou organisations de professionnels de santé l’ont critiqué.
Le rapport du HCAAM : l’analyse de la CFDT
Dès que le rapport a été publié, la CFDT a donné son opinion sur le travail réalisé : un diagnostic sérieux qui pointe à la fois les acquis et les valeurs mais aussi les dysfonctionnements du système et qui ne se contente pas de le regarder sous le seul angle financier, comme l’ont fait de nombreux gouvernements.
En effet, le Haut Conseil développe ses conclusions tant sur les aspects économiques et financiers (chapitre 1) que sur la qualité du système de soins (chapitre 2) et sur la gouvernance de l’assurance maladie (chapitre 3), c’est-à-dire la manière de la guider et d’en coordonner les activités.
Le diagnostic lucide et sans ménagement qui a été établi fait apparaître à la fois
...des motifs de satisfaction...
Les qualités du système de santé actuel sont longuement développées. Sa contribution à l’amélioration de l’état de santé des Français (malgré quelques faiblesses ou insuffisances) et le développement de la solidarité basée sur un puissant système de transferts (des bien portants vers les malades, des personnes seules vers les familles, des jeunes vers les plus âgés, des ceux qui sont riches vers ceux qui le sont moins...) sont particulièrement mis en relief. Il en est de même pour les facilités d’accès aux soins offertes aux plus bas revenus et aux personnes les plus malades par des mesures de prise en charge à 100%.
La conclusion est claire pour le Haut Conseil : l’armature de la prise en charge doit être sauvegardée sans en remettre en cause les principes, même si des ajustements s’imposent.
La CSG, par son assiette large et par sa proportionnalité, apparaît comme la réponse pour le financement des régimes de base, ce qui va dans le sens des propositions que fait la CFDT depuis de longues années.
Pour améliorer le système de soins, le Haut Conseil propose plus de coordination et plus de régulation pour en accroître l’efficacité, une meilleure intervention des professionnels de santé, la mise en place d’une réelle formation continue des professionnels ainsi qu’une meilleure articulation entre médecine de ville et hospitalisation. Ce dernier aspect est longuement évoqué. C’est une des revendications majeures de la CFDT : « opérer un rapprochement entre l’hôpital et la médecine de ville ».
Le panier de soins, c’est-à-dire la liste des produits et des actes médicaux qui sont pris en charge collectivement, doit évoluer et s’adapter en étant basée d’abord sur des critères objectifs de sécurité et d’efficacité.
La prévention, l’éducation à la santé, les conditions de vie et l’environnement ont des conséquences déterminantes sur la santé de chacun.
La place du malade au centre du système de soins est une priorité.
Les critiques formulées à l’encontre des professions médicales tout comme l’absence quasi-totale de liens entre la médecine de ville et les soins hospitaliers rejoignent l’analyse de tous sur la nécessité de mettre en place de meilleures pratiques médicales dans l’intérêt des usagers.
La clarification des relations entre l’Etat et les régimes d’Assurance Maladie est un impératif que la CFDT a souvent demandé.
...mais aussi des lacunes ou des insuffisances
La place et le rôle des organismes de couverture complémentaire sont insuffisamment approfondis : il y a un manque de regard critique tant sur les limites de la solidarité au sein des couvertures complémentaires que sur le système de cotisations généralement en vigueur et peu de propositions pour une coopération accrue entre les régimes de base et les organismes complémentaires,...
La facilitation de l’accès aux couvertures complémentaires par des aides financières pour les personnes dont les ressources sont faibles n’est pas directement évoquée, c’est pourtant une nécessité si on veut favoriser l’égal accès aux soins pour tous.
La remarque selon laquelle dans certains pays les organismes complémentaires exercent une complémentarité thématique et non tarifaire laisse la porte ouverte à ce que certains domaines (les prothèses externes, par exemple) puissent être couverts « au premier franc » par les complémentaires, ce qui s’oppose à la revendication de l’UCR CFDT pour une prise en charge des prothèses par les régimes de base de manière comparable à celle des médicaments.
On ne trouve pas de recommandation sur la revalorisation des remboursements des prothèses externes (auditives, dentaires et optique médicale) si ce n’est la constatation qu’elles sont mal remboursées actuellement par les régimes de base.
Le périmètre des biens et services pris en charge collectivement par l’Assurance Maladie (c’est ce que l’on appelle couramment le « panier de soins ») est défini par les critères qui seraient utilisés à cet effet (sécurité, efficacité, utilité et efficience) à l’image de ce qui se fait pour les médicaments. Mais rien n’est dit sur la façon d’empêcher que des arguments d’équilibre financier prédominent et rien n’est dit sur l’éventail de produits et d’actes qui seraient concernés.
La responsabilisation de tous est invoquée mais on sait que, dans le domaine de la santé, la position d’un malade est souvent difficile face aux professionnels et au poids des structures hospitalières.
Les critiques parfois dures à propos de l’échec de toutes les mesures qui ont été essayées pour améliorer le système de soins jusqu’à présent seront - elles suffisantes pour éviter des oppositions corporatistes de certains professionnels à une évolution favorable aux malades ?
Du fait du contraste entre d’une part l’effet immédiat de décisions qui concerneraient très rapidement les recettes (c’est-à-dire les cotisations) et les remboursements et d’autre part les effets à long terme de l’évolution du système de soins, il y a le risque de favoriser les décisions à court terme.
A propos de la gouvernance, le rapport émet des critiques sévères mais ne fait pas de propositions élaborées. Il énonce des principes en citant les différentes compétences en jeu et en associant compétences et responsabilités mais il ne s’avance guère sur les solutions possibles. C’est un sujet difficile car l’expérience de ces dernières années prouve que tout gouvernement n’aime pas partager le pouvoir et tend toujours à ne laisser ni trop de compétences, ni trop de responsabilités et d’autonomie à l’Assurance Maladie. Les mesures prises en décembre 2003 pour poursuivre les déremboursements alors que le processus de réforme était engagé par le Haut Conseil sont là pour en témoigner !
D’une manière générale, il peut rester un certain sentiment de frustration car les travaux du Haut Conseil ont permis un constat et conduit à émettre des appréciations intéressantes. On pouvait cependant espérer qu’ils comportent plus de propositions de solutions pour renforcer les aspects positifs du constat émis. Il est vrai que la mission donnée au Haut Conseil ne l’obligeait pas à proposer des solutions mais lui en laissait cependant la possibilité.
Il est évident que ces constats n’engagent pas la responsabilité du gouvernement lorsqu’il fera part de ses orientations. Il vaut mieux cependant les voir écrits, même s’il paraissent ne pas aller suffisamment loin parfois, plutôt que de voir des recommandations aboutissant à mettre à mal la solidarité, visant à mettre en concurrence l‘Assurance Maladie ou cherchant à en réduire l’importance.
Un certain nombre de points positifs ont d’ailleurs déjà été repris publiquement par le ministre de la santé. C’est intéressant à noter mais restons vigilants car rien n’est encore acquis et utilisons la dynamique actuelle pour pérenniser l’Assurance Maladie et les valeurs de solidarité qu’elle concrétise.
Réforme : Acte 2 - consultation et groupes de travail
A l’occasion des « Assises de la Santé » qui se sont tenues au ministère le 9 février, le ministre de la santé a lancé ce que l’on pourrait appeler l’acte 2 de la réforme en ouvrant une phase de concertation et de travail en groupe sur des thèmes particuliers. Il a profité de ces assises pour rejeter « avec force toute forme de privatisation de l’Assurance Maladie ou de mise en concurrence entre régimes ». Il faut prendre acte de ces déclarations et faire en sorte qu’elles se concrétisent lors de la réforme en préparation.
Parmi les 8 groupes de travail mis en place sous la conduite du ministère, 7 concernent l’objectif principal de la réforme qui est l’amélioration la qualité des soins et l’égal accès pour tous, ce qui apparaît satisfaisant. La CFDT ne s’est d’ailleurs pas opposée à la constitution de ces groupes qui auront à travailler sur la répartition géographique de l’offre de soins, sur la coordination entre médecine de ville et hôpital, sur le bon usage des médicaments, sur l’orientation des patients dans le système de soins,...Par contre, un seul s’intéresse aux questions de régulation des dépenses et de financement de l’Assurance Maladie et aucun ne porte sur les relations entre l’Assurance Maladie et l’Etat. Ceci montre l’importance que revêtira sans doute la réforme du système de soins.
Mais l’on peut s’interroger sur l’intérêt de cette phase après les travaux du Haut Conseil et la rédaction antérieure de plusieurs rapports. Réel désir de faire avancer les choses ou simple répit en attendant la fin de la période électorale ? L ‘avenir nous le dira mais cette phase peut permettre aux différents acteurs (organisations syndicales, professionnels, régimes de base, organismes complémentaires,...) de dégager ensemble des convergences. Il est en effet évident que la réforme ne se mettra en place que si des acteurs différents ont un minimum de points de vue communs.
Réforme : Acte 3 - Avril 2004 ?
Une fois l’acte 2 terminé, la vraie période de concertation va s’ouvrir avec la publication par le gouvernement d’un document d’orientation dans lequel il devrait présenter les pistes de réforme qu’il envisage. Cette phase cruciale au cours de laquelle les convergences entre acteurs auront l’occasion de s’exprimer devrait déboucher sur des mesures d’ordre législatif avant la fin de l’été.